Notre prochain guide parisien est dédié à la révolution d'Octobre, en particulier au séjours de Lénine, Trotsky et d'autres bolcheviks à Paris dans les XIIIe et XIVe arrondissements. Voici une présentation générale du guide qui peut être consulté ici.
Ce guide paraît à l'occasion du centenaire de la Révolution d'Octobre ; un événement qui a grandement influencé l'histoire du XXème siècle. Nous nous pencherons ici sur le séjour parisien de quelques-uns des dirigeants révolutionnaires et communistes du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie qui avaient privilégié la Ville-Lumière avant et en partie pendant la première guerre mondiale.
Après la Révolution de 1905, Paris devient en effet le foyer principal de l'émigration politique russe.
Les agissements des services secrets tsaristes en Suisse, et les mesures policières que le gouvernement helvétique a mis en place suite aux pressions de la Russie convainquent Lénine de quitter ce « trou » qu'est selon lui Genève. Il débarque à Paris en décembre 1908 avec ses camarades du centre bolchevik, notamment Kamenev et Zinoviev, ainsi que l'équipe des typographes, et l'imprimerie des journaux révolutionnaires clandestins.
Discours de Lénine à Petersbourg. Sur le côté Trotsky |
La police
française estimait à environ 25 000 le nombre des émigrés russes à Paris
en 1907, dont « 1550 terroristes, pouvant se décomposer en 550
anarchistes et 1000 révolutionnaires » D'autres sources mentionnent une
communauté de 80.000 ressortissants.
Entre 1909 et 1912 un noyau d'une quarantaine de bolcheviks est basé à Paris de façon stable. Parmi eux Lénine et son épouse Nadejda Kroupskaïa, Zinoviev et sa femme Zlata Lilina, Kamenev avec Olga (la sœur de Trotsky), Inessa Armand,
Ludmila Stal, Serafima Gopner, Aline (l'auteur de "Lénine à Paris"),
Semaschko, Vladimiriski et bien d'autres. À ceux-là s'ajoutent les
membres du POSDR qui ont appartenu à la fraction bolchévique, comme
Alexinski, Lounatcharsky et Bogdanov, ou des mencheviks comme Martov, Tchitcherine et Dan. Certains d'entre eux adhéreront au Parti Communiste de Russie (bolchevik) en 1917. Trotsky
y séjourne à deux reprises, en 1902-1903 — époque où il rencontre sa
deuxième épouse Natalia Sedova — et en 1914-1916 après avoir été obligé
de quitter Vienne. D'autres, comme Kamski, Rykov, Tomski, Chouliatov et Piatnitzki, seront de passage pour des réunions ou de brefs séjours.
Carrefour Alésia (Place Victor et Hélène Basch) au début du XXe siècle |
Les
yeux des exilés politiques russes sont braqués sur les événements de
Russie. Les contacts avec les socialistes français sont relativement
faibles, et se font par l'intermédiaire d'émigrés déjà implantés en
France et qui ont adhéré aux organisations socialistes françaises, tels Charles Rappoport
— directeur de plusieurs journaux — et le socialiste-révolutionnaire
Elias Roubanovitch ; ce dernier couvrant pour « l'Humanité » les
affaires russes. Certes, Lénine s'intéresse aussi aux événements qui
concernent le mouvement ouvrier français, entre autres aux élections
politiques de 1910. Il participe à des manifestations majeures
organisées par les socialistes, telles que la commémoration de la
Commune de Paris ou les funérailles de Paul et Laura Lafargue.
Mais, en général, les bolcheviks se tiennent à l'écart des débats du
mouvement ouvrier français. Après le début de la guerre et les divisions
au sein de l'Internationale, Trotsky nouera des contacts réguliers avec
les dirigeants du parti socialistes français qui se seront opposés à
des degrés divers à la ligne pro-gouvernementale du parti.
Au sein
de l'Internationale Socialiste, les Russes sont plus actifs. Les deux
fractions principales et les autres groupes s'y livrent une âpre
bataille. L'Internationale intervient à plusieurs reprises pour apaiser
les esprits et proposer des compromis, mais ces tentatives échouent
immanquablement.
Léon Trotsky |
Pour le gouvernement français la surveillance
des exilés russes n'est pas une priorité absolue. Le gros du travail est
assuré par l'Okhrana
dont les bureaux étrangers ont leur centre à Paris, 79 rue de Grenelle.
Elle dispose d'une cohorte de mouchards et d'infiltrés. Le désintérêt
des autorités françaises (et même du parti socialiste français) est tel
que Lénine y fait figure d'illustre inconnu selon l'historien Jean
Fréville qui écrit :
« Pour les autorités françaises, Lénine n'est qu'un émigré parmi d'autres, le chef d'un groupement, d'une fraction dont il semble difficile d'évaluer l'importance réelle et de prédire l'avenir politique. La presse l'ignore, ne signale pas ses conférences, ses articles, ses déplacements. […] Quand le Congrès de Copenhague s'ouvre par la réunion du Bureau socialiste international, l'Humanité ne mentionne pas, dans son numéro du 29 août 1910, Lénine 'parmi les militants les plus connus', se contentant de citer pour les Russes le socialiste-révolutionnaire Roubanovitch. […]. La Préfecture de police ne s'occupait guère de ces émigrés […]. Elle ne s'y intéressait que dans des cas définis, sur la demande expresse du Quai d'Orsay, ou du Ministère de l'Intérieur, que harcèlent [l'ambassade russe et l'Okhrana]. […] Le beau monde ignore tout de Lénine ». (Jean Fréville, Lénine à Paris)
Vladimir Ilitch Oulianov "Lénine" |
On
ne manquera pas d'évoquer un peu la vie de tous les jours des
révolutionnaires russes. Il faut dire qu'ils avaient en général un train
de vie très modeste. La plupart des émigrés politiques installés à
Paris étaient issus de familles ouvrières ou sans ressources propres.
Bien que ce soit dans une moindre mesure qu'à Londres, la vie à Paris
demeurait chère pour eux. Quels cafés fréquentaient-ils ? Martov était
un habitué des cafés de Montparnasse : on le trouvait souvent à La
Rotonde. Tout comme Trotsky, Lénine ne fréquentait pas les "cafés de la
bohème". Il privilégiait ceux de son quartier. Il y jouait parfois aux
échecs. Mais il avait un autre passetemps qui consistait à se promener à
vélo avec Nadejda. Il partait avec elle pour de longues promenades à la
découverte de Paris et surtout de ses environs. Il était attiré par les
terrains d'aviation, discipline nouvelle à laquelle il s'intéressait
particulièrement.
Le lien communautaire entre les exilés était
très fort. Ils se retrouvaient dans les nombreuses cantines russes et
des cafés, ou encore dans les bibliothèques. Les conférences politiques
étaient très fréquentées. Le nombre des participants à celles de Lénine
oscillait entre 200 et 600 personnes. Très populaire parmi les
socialistes russes étaient les chansons du « chanteur engagé » Montéhus,
avec qui Lénine noua des liens d'amitié. Paris inspira aussi quelques
amours : Trotsky y rencontra sa seconde femme, Natalia Sedova.
Lénine eut une liaison sentimentale et même amoureuse avec Inessa
Armand. On rencontrait au hasard des allées du parc Montsouris certains
révolutionnaires poussant une voiture d'enfant.
Inessa Armand |
Les Russes dans le
XIVe arrondissement. La grande majorité des exilés russes avait trouvé à
se loger dans le 14e et le 13e arrondissement. C'est dans ce quartier
également qu'étaient établies de nombreuses organisations de soutien aux
émigrés, telles que la bibliothèque russe et la bibliothèque
Tourgueniev, le bureau russe du Travail, différentes cantines et centres
d'accueil, instituts de formation, centres d'études universitaires,
églises orthodoxes, syndicats et imprimeries.
Nous nous
pencherons dans ce guide sur les alentours du Petit Montrouge et du Parc
Montsouris, secteur dans lequel nous pourrons suivre les traces de la
plupart des dirigeants du parti ouvrier social-démocrate de
Russie (POSDR) et de ses différentes fractions, ainsi que des imprimeries
de leurs journaux.
Le café le Lion au 5, avenue d'Orléans (aujourd'hui avenue Général Leclerc) |
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