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Le café de la Mairie, ou comment passer une journée normale dans un café du coin


Voici un extrait de notre guide sur les cafés historiques de Paris - Rive Gauche, par Paulina Spiechowicz.

Combien de facettes peut-il avoir un lieu ? Combien de nuances, de lumières, de saisons et de possibilités ? Le café de la Mairie, situé au 8 place Saint-Sulpice, à droite de la cathédrale (la même qui garde secret l'un des plus beaux chefs d'œuvres de Delacroix, La lutte de Jacob avec l'ange),  représente l'endroit qui, par excellence, nous donne accès à toute envie de voyeurisme et de mise à l'éprouve du hasard par le réel. C'est par ce biais que débute l'un des textes qui ont rendu célèbre le café. C'était le 18 octobre 1974. Georges Perec s'y installa et commença à écrire :

La date : 18 octobre 1974
L'heure 12 h. 40
Le lieu Café de la Mairie.
Plusieurs dizaines, plusieurs centaines d'actions simultanées, de micro-événements dont chacun implique des postures , des actes moteurs , des dépenses d'énergie spécifiques : discussions à deux , discussions à trois, discussions à plusieurs : le mouvement des lèvres, les gestes , les mimiques expressives
modes de locomotion : marche, véhicule à deux roues (sans moteur, à moteur), automobiles ( voitures privées, voitures de firmes, voitures de louage, auto-école), véhicules utilitaires, services publics, transports en communs , cars de touristes
modes de portage (à la main, sous le bras , sur le dos )
modes de traction (cabas à roulettes)
degrés de détermination ou de motivation attendre , flâner , traîner , errer , aller, courir vers, se précipiter (vers un taxi libre, par exemple), chercher , musarder, hésiter, marcher d'un pas décidé
positions du corps : être assis (dans les autobus , dans les voitures , dans les cafés, sur les banc s )
être debout (près des arrêts d' autobus , devant une vitrine (Laffont, pompes funèbres), à côté d'un taxi (le payant)
Trois personnes attendent près de l'arrêt des taxis.  Il y a deux taxis, leurs chauffeurs sont absents (taxis capuchonnés)
Tous les pigeons se sont réfugiés sur la gouttière de la mairie.
Un 96 passe.  Un 87 passe.  Un 86 passe.  Un 70 passe.   Un camion « Grenelle Interlinge » passe.
Accalmie.  Il n'y a personne à l'arrêt des autobus .
Un 63 passe.  Un 96 passe

Une jeune femme est assise sur un banc , en face de la galerie de tapisseries « La demeure » elle fume une cigarette.
Il y a trois vélomoteurs garés sur le trottoir devant le café.

C'est Une tentative d'épuisement d'un lieu parisien, bref récit où Georges Perec cherche de s'emparer d'un lieu, de l'intégrer dans son regard et de le décrire minutieusement, comme s'il était un appareil photographique, une photocopieuse, ou bien un espion. Il ne fut certes pas le premier à s'intéresser au lieu. Jadis Djuna Barnes avait franchit les portes du cafés. Dans les années quarante, l'écrivain américain y écrit son livre emblématique Nightwood (La foret de la nuit), et utilise l'endroit comme scenario : « Tout près de l'église Saint-Sulpice, au coin de la rue Servandoni, habitait le docteur. Sa petite silhouette traînassant était un trait de la place. Pour la propriétaire du Café de la Mairie du VI, c'était presque un fils. Cette place relativement petite à travers laquelle des lignes de tramway couraient dans plusieurs directions, bord d'un coté par l'église et de l'autre par la justice de paix était la « cité » du docteur […] Parfois, tard dans la nuit, on le voyait, avant qu'il s'enfonçât dans le Café de la Mairie du VI, tressaillir à la vue des énormes tours de l'église qui s'élevaient dans le ciel, disgracieuses mais rassurantes ».
Dans les mêmes années on y retrouve aussi Georges Bataille, Pierre Klossowski, Patrick Waldberg et d'autres membres du Cercle communiste démocratique de Boris Souvarine de Contre-attaque, du Collège de Sociologie ou d'Acéphale. André Breton y attire ses fidèles et ses nouveaux convertis à son retour de New York. Alberto Giacometti y vient aussi.





Dans l'après guerre, c'est la nouvelle génération d'écrivains, d'éditeurs et de critiques d'art qui prend le relais sur l'endroit. On y voit le jeune Christian Bourgois avec Jean-Christophe Bailly.  Ils y sont aussi les stars d'autres alpes, qui viennent à Paris en incognito, comme Marcello Mastroianni, qui a ses habitudes au café et qui y vient régulièrement. Quelques années plus tard, l'établissement sera la retrouvaille de Jean-François Bory et du cercle de l'École de Saint-Sulpice, dont Hélène Delprat, William Mackendree, Gilles de Bure, Simon Lane, François et Jean Lamore, Santiago Arranz, Gerard de Cortanze, Eric Koehler.

Il y a peu de temps on y croisait Umberto Eco ou encore Mario Vargas Llosa, qui habite à coté. Ce dernier lui rend des hommages déguisés: « Flora Tristan, le personnage principal de mon dernier roman, voyait de ses fenêtres les tours de Saint-Sulpice. » C'était par ailleurs la même vision jadis offerte à Henry Miller: « Les gros clochers, les affiches gueulardes sur la porte, les cierges flambant à l'intérieur. La place si aimée par Anatole France, avec ce ronron bourdonnant de l'autel, le clapotis de la fontaine, le roucoulement des pigeons, les miettes qui disparaissent comme par enchantement [...] Saint-Sulpice n'avait pas alors grand sens pour moi » (Tropique du Cancer, p. 42.).

Texte: Paulina Spiechowicz

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