Voici un extrait du guide dédié à Victor Hugo à Paris dont la publication est prévue pour le mois de septembre. L'auteur en est Patrick Maunand à qui on doit aussi un guide sur Jean-Jacques Rousseau à Paris.
« Ce grand vaisseau de l'architecture médiéval, cet hymne à la gloire divine, Hugo en a fait le sujet d'une de ses œuvres les plus connues. C'est l'occasion pour le poète de clamer son amour pour le riche passé médiéval de Paris, au travers de l'histoire fantastique du prêtre Claude Frollo, de la bohémienne Esméralda et du nain difforme Quasimodo. »
Nous voici devant le monument qui lie le plus Victor Hugo à Paris. Ce colosse de l'architecture médiéval face au colosse de la littérature française du 19e siècle. Le H des deux tours face au H de Hugo. Le journaliste et écrivain Auguste Vacquerie, le frère du mari de Léopoldine tué dans l'accident avec la fille aînée d'Hugo (près de Villequier, le 4 septembre 1843), le dira dans un de ses poèmes :
Causer avec les voix dont le monde est l'écho
Etait mon but; Paris, c'était surtout Hugo.
Mes monuments, mes parcs, mes princes et mes femmes,
C'étaient ses vers, c'étaient ses romans et ses drames;
Les tours de Notre-Dame étaient l'H de son nom ! […]
(A Paul Meurice, Mes premières années de Paris, Michel Lévy, 1872).
Et puis, c'est avant tout son roman historique (paru chez Gosselin en mars 1831) qui lie de façon indélébile Notre-Dame de Paris à Victor Hugo. Même s'il l'écrit en six mois, il passe trois ans à étudier et à rassembler tous les documents dont il avait besoin pour son roman. C'est dire le soin historique qu'il y met. Le roman fait revivre le Paris de Louis XI (ce Paris dont il nous retrace les grandes lignes du haut des tours de Notre-Dame, dans un long chapitre intitulé “Paris à vol d'oiseau” qui se termine par l'évocation d'un gigantesque opéra orchestré par le carillonnement des cloches de toutes les églises de Paris), dans un décor où l'imaginaire et le fantastique occupent une place centrale. L'archidiacre Claude Frollo est féru d'alchimie, et il tombe amoureux de la belle bohémienne Esméralda, et dont Quasimodo, le carillonneur de Notre-Dame - un nain difforme -, est aussi amoureux. Quant à Esméralda, elle rêve d'épouser Phoebus, le beau capitaine des archers de l'ordonnance du roi. Le livre eut un grand succès à son époque, même si l'on critiqua son aspect peu catholique. Cette histoire d'un prêtre féru d'alchimie et dévoré de désir pour une bohémienne ne pouvait pas être du goût de l'Église romaine qui mit le livre à l'Index, en juillet 1834. Comment en pouvait-il être autrement, puisque son auteur était pour une religion sans prêtres – Enjolras dans Les Misérables se fait le porte-parole de Victor Hugo lorsqu'il s'écrie : pour religion le ciel, Dieu prêtre direct, la conscience humaine devenu l'autel ? Lamartine est emballé par le livre, même si, lui aussi, reproche à l'auteur son manque de foi catholique : C'est le Shakespeare du roman, c'est l'épopée du Moyen Age, c'est je ne sais quoi; mais grand fort, profond, immense, ténébreux comme l'édifice dont vous en avez fait le symbole. Seulement c'est immoral par le manque de Providence assez sensible; il y a tout dans votre temple, excepté un peu de Religion.
Notre-Dame de Paris raconte la lutte contre la fatalité (qu'il traduit par le mot grec Ananké dans le roman). Fatalité et non Providence, comme lui reprocheront de nombreux catholiques. Victor Hugo en expliquera le sens en mars 1866, dans la préface des Travailleurs de la mer : Une triple ananké pèse sur nous, l'ananké des dogmes, l'ananké des lois, l'ananké des choses. Dans Notre-Dame de Paris, l'auteur a dénoncé la première; dans Les Misérables, il a signalé la deuxième; dans ce livre, il indique la troisième. A ces trois fatalités qui enveloppent l'homme se mêle la fatalité intérieure, l'ananké suprême, le cœur humain. On voit ici, le lien qui unit les trois grands romans de Victor Hugo. Celui-ci reviendra dessus dans une correspondance au journaliste Durandeau : Toutes les fois que la nécessité empiète sur la liberté et l'opprime, elle s'appelle “fatalité”. Le poète dénonce cet abus de l'inconnu. C'est ce que je fais dans “Notre-Dame de Paris”, dans “Les Misérables”, dans “Les Travailleurs de la mer”. (11 juillet 1867). D'ailleurs dans la préface de Notre-Dame de Paris, Hugo signale que c'est sur ce mot d'Ananké qui se trouvait gravé sur le mur d'une des tours de la cathédrale et qui aurait disparue (mais a-t-elle vraiment existé ?), qu'il a écrit le livre.
La cathédrale que dépeint Hugo n'est pas celle que l'on peut voir aujourd'hui. Viollet-le-Duc a restauré ce monument (les travaux furent achevés en 1864), en particulier la flèche de 90 mètres n'existait plus en 1830, elle a été refaite d'après les dessins anciens. Elle était à l'époque d'Hugo beaucoup plus dégradée : Sans doute c'est encore aujourd'hui un majestueux et sublime édifice que l'église de Notre-Dame-de-Paris. Mais si belle qu'elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s'indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui en avait posé la première pierre, pour Philippe-Auguste qui en avait posé la dernière. […]. La façade de la cathédrale est un "terrain béni" pour le penchant lyrique de Victor Hugo :
[…] Il est, à coup sûr, peu de plus belles pages architecturales que cette façade où, successivement et à la fois, les trois portails creusés en ogive, le cordon brodé et dentelé des vingt-huit niches royales, l'immense rosace centrale flanquée de ses deux fenêtres latérales […], la haute et frêle galerie d'arcades à trèfle qui porte une lourde plate-forme sur ses fines colonnettes, enfin les deux noires et massives tours avec leurs auvents d'ardoise, parties harmonieuses d'un tout magnifique, superposées en cinq étages gigantesques, se développent à l'œil, en foule et sans trouble, avec leurs innombrables détails de statuaire, de sculpture et de ciselure, ralliés puissamment à la tranquille grandeur de l'ensemble ; vaste symphonie en pierre, pour ainsi dire ; œuvre colossale d'un homme et d'un peuple […] ; produit prodigieux de la cotisation de toutes les forces d'une époque, où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de l'ouvrier disciplinée par le génie de l'artiste ; sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité.
(Notre-Dame de Paris - 1482, Gosselin, 1831).
Pour Nerval, le roman de Victor Hugo a beaucoup fait pour la remise en valeur du monument, comme le suggère son poème Notre-Dame de Paris, écrit en 1832 :
Bien des hommes de tous les pays de la terre
Viendront pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor…
- Alors, ils croiront voir la vieille basilique
Toute ainsi qu'elle était puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l'ombre d'un mort.
(Petits Châteaux de Bohême, Eugène Didier, 1853)
Et qui sait ? La prochaine fois que vous pénétrerez dans la cathédrale, peut-être rencontrerez-vous le fantôme de Quasimodo ? Victor Hugo ne nous dit-il pas que la cathédrale était sa carapace […] qu'il en avait pris la forme, comme le colimaçon prend la forme de sa coquille.
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