Accéder au contenu principal

La proclamation de la loi martiale et la fusillade du Champ de Mars


L’École militaire de Louis XV (1751), était destinée par son successeur à remplacer l’Hôtel-Dieu, à devenir un grand hôpital. Nous sommes un an et trois jours après la Fête de la Fédération, le dimanche 17 juillet 1791. Il y a eu la fuite du roi à Varennes, et l’Assemblée constituante obligée, pour préserver le principe monarchique, de répandre la fable d’un enlèvement. Le peuple de Paris, les clubs, ne l’entendent pas de cette oreille et demandent, par des pétitions, qu’avant de rétablir le roi dans ses prérogatives on consulte au moins les départements. C’est spontanément au Champ de Mars qu’on se rassemble pour en débattre, et sur l’autel de la patrie qu’on signe au bas des requêtes.

Retour de Varennes
La foule qui s’y presse est une aubaine pour deux paillards qui, au petit matin du 17 ont l’idée d’en percer le plancher pour s’ouvrir la vue sur les dessous des citoyennes. Ils ne voulaient que se rincer l’œil malheureusement ceux qui les surprennent pensent avoir mis la main sur des monarchistes préparant un attentat. Le commissaire du quartier du Gros-Caillou, constatant que le tonnelet qu’ils ont avec eux n’est pas rempli de poudre mais de vin blanc, les relâche. Erreur fatale : la rumeur a enflé démesurément et la tête des deux «royalistes» est bientôt promenée sur des piques.

Publication de la Loi martiale


Quand la nouvelle parvient à l’Assemblée, elle est tout aussi déformée mais en sens contraire : les deux vicieux sont devenus « deux bons citoyens qui recommandaient au peuple le respect des lois et qui ont été massacrés pour ça. » Un décret est pris sur le champ contre les pétitions et la presse « extrémiste ». A l’Hôtel de Ville, le corps municipal proclame la loi martiale et décide de poursuivre sa séance à l’École militaire, derrière nous. La suite est assez confuse. Au soir, du côté du pont de bois et de l’arc de triomphe, on distingue dans la poussière soulevée par les canons et la cavalerie, le cheval blanc de La Fayette et, à côté de Bailly, le maire, le drapeau rouge de la loi martiale ; une seconde colonne débouche au galop par la grille de la rue Saint-Dominique, à la hauteur de l’autel. Des mottes de terre, des cailloux sont lancés en même temps que les cris : A bas le drapeau rouge ! A bas les baïonnettes ! Une première salve leur répond, en l’air ; une deuxième suit aussitôt sans plus de sommations et la mitraille découpe la boule humaine agglutinée sur l’autel de la patrie, qui s’épluche par copeaux dans le jus rouge du sang. Les rescapés fuient éperdument vers nous devant les sabots et les sabres levés ; les bataillons des Minimes, de Saint Roch, de la Halle, en faction devant l’École militaire, leur ouvrent leurs rangs et menacent de la baïonnette les cavaliers qui voudraient continuer de les poursuivre. De 10 à 400 pétitionnaires et badauds sont tombés sous le feu. Bailly le paiera de l’échafaud sur les lieux mêmes du crime, deux ans et demi plus tard ; La Fayette de l’exil.

La fin d'un monde
Attardons-nous encore un an au même endroit: le 14 juillet 1792, Marie-Antoinette est au balcon de l’École militaire, le roi vient d’en sortir, elle a obtenu qu’il porte sous son habit brodé un gilet à l’épreuve des lames. Sur l’esplanade, aux pieds de la reine, 83 tentes, chacune plantée d’un peuplier garni de banderoles tricolores, représentent les départements. A gauche de l’autel de la patrie, un arbre mort d’où pendent des couronnes et des mitres, des cordons bleus de l’ordre monarchique le plus illustre et des chapeaux cardinalices, bref tous les symboles de la féodalité ; le roi doit y mettre le feu. La reine suit sa marche dans une lunette… Mon Dieu ! la tête poudrée vient de s’engloutir dans la masse des représentants qui se referme sur elle. Frappé ? Poignardé ? Le gros roi n’a que trébuché, il se redresse et va prononcer le serment civique. Il décline l’invitation à enflammer l’arbre aux pendeloques : « C’est inutile, la féodalité n’existe plus. » Louis XVI s’insère entre ses gardes et rejoint l’École militaire.

La fête de l’Être Suprême
Dernier épisode de ce côté de l’esplanade, la fête de l’Être Suprême du Décadi 20 Prairial an II, soit le dimanche 8 juin 1794 du calendrier grégorien, également dimanche de Pentecôte du calendrier liturgique. Selon le calendrier républicain, qui fait débuter l’année à l’équinoxe d’automne, Louis XVI a été guillotiné l’an I et Marie Antoinette l’an II.

 Depuis le 18 Floréal, et par décret, « Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme. » (Art. 1er.) Le 16 Prairial, Robespierre a été porté à la tête de la Convention ; c’était lui donner du même coup le rôle du grand pontife dans la célébration à venir, fixée par l’article 15 du même décret et confiée pour le faste au peintre David. Les ennemis de l’Incorruptible espéraient lui faire révéler ainsi aux yeux de tous ses aspirations césariennes.

Le cérémonial, commencé aux Tuileries, va culminer ici : arrive par l’avenue de l’École-de-Mars, précédée de musiques et de tambours, la Liberté parmi une gerbe de blé, un arbrisseau et quantité d’instruments aratoires, sur un char tiré par quatre paires de bœufs aux cornes dorées. La Convention lui fait escorte. Un ruban tricolore ceinture le tout, porté par des enfants enguirlandés de violettes, des jeunes gens et jeunes filles aux ornements de myrtes, des hommes dans la force de l’âge parés de feuilles de chêne et des vieillards agrémentés de pampres, tous choisis au sein des 48 sections de Paris. Le cortège passe sous un arc de triomphe isocèle, en forme d’équerre ou de niveau de maçon, et les Conventionnels vont prendre place sur le soubassement à degrés d’un temple antique factice, en avant de l’École militaire.

Fête de l'Être Suprême
 Au centre de ce qui s’appelle désormais le Champ de la Réunion, sur le sommet tronqué d’une montagne rocheuse tout aussi artificielle qui a remplacé l’autel de la patrie, entre un Arbre de la Liberté et une colonne à l’antique surmontée d’une statue, un chef d’orchestre bat la mesure avec un drapeau et les choristes, c’est à dire les sectionnaires, hommes et femmes, que des solistes de l’Opéra ont fait s’exercer depuis des semaines dans chacun des quartiers, pendant que les plus grands musiciens du temps, Gossec, Méhul, Lesueur, Cherubin faisaient répéter les passants à tous les carrefours et que les enfants des écoles étaient envoyés tous les jours à l’Institut national de musique, le peuple réuni là, donc, entonne à l’unisson: «Père de l’univers, suprême intelligence… De la haine des Rois anime la Patrie, Chasse les vains désirs, l'injuste orgueil des rangs, Le luxe corrupteur, la basse flatterie, Plus fatale que les tyrans…»

La fête de l'Être Suprême
 Mais c’est tout autour d’ici, dans les estaminets avoisinants l’École militaire, où vous-même pourriez chercher une pause, que tout cela se termine, parce que l’Incorruptible, qui ne se préoccupe que du sublime et jamais des choses matérielles, n’a prévu ni repos ni boire ni manger dans cette interminable cérémonie qui a rassemblé ses participants dès 5 heures du matin et durant toute une journée torride. Voyez s’égailler, courir presque vers le petit vin salvateur, deux cents représentants du peuple que le protocole a contraints de revêtir l’uniforme des conventionnels en mission à l’armée : culotte blanche dans les demi-bottes, gilet blanc dont les revers débordent sur ceux, rouges, de l’habit bleu aux revers de col tout aussi rouges, large étoffe tricolore portée en écharpe ou en ceinture, sabre, chapeau haut de forme à panache de plumes bleu-blanc-rouge, suants là-dessous, affamés, assoiffés, incapables de retourner en corps aux Tuileries comme l’a prévu David. Le bouquet de bleuets, marguerites et coquelicots qu’il leur avait de surcroît fait tenir à la main est écrasé dans une poche quand il n’a pas été, plus tôt déjà, jeté à la foule, et les langues trop longtemps desséchées se délient contre ces bondieuseries nouveau genre et leur incarnation terrestre.


Halter & Wilmotte, Le mur pour la paix
Notre regard, au cours de cette histoire, a été quelque peu gêné par une construction placée malencontreusement en plein dans la perspective, et qui fait polémique pour cela : le mur de la Paix, de Clara Halter, épouse de Marek Halter, et Jean-Michel Wilmotte, installation censément provisoire et qui s’éternise. Le monument du bicentenaire, lui, a su et se décaler de l’axe central et se fondre dans la verdure.


--------
Texte: Alain Rustenholz, pour Blue Lion Guides (© 2012)

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Palais Royal: les colonnes de Buren et la fontaine Sphérades

En entrant dans Cour d'honneur du Palais Royal, vous vous trouvez immédiatement au milieu de multiples colonnes noires et blanches de toute taille, émergeant du sol comme des arbres qui poussent. Lorsqu’on se penche par-dessus les deux puits qui se trouvent dans la cour, on s’aperçoit que les colonnes se prolongent en sous-sol. Elles déterminent donc deux niveaux, d’où le titre de cette œuvre in situ : Les deux plateaux . En 1986, sous la présidence de François Mitterrand , le Ministère de la culture et de la communication, logé dans la galerie des proues du Palais Royal, commande une sculpture pour la cour intérieure à l’artiste Daniel Buren . Cette œuvre sculpturale s’inscrit dans le cadre des grands projets de François Mitterrand, qui, dans les années 1980, souhaite transformer la ville musée en ville moderne en y introduisant l’art et l’architecture contemporains. Buren est membre fondateur du groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier et Toroni), qui, dans l’esprit des années 19...

Balade dans le Paris médiéval - Rive droite

Avec ses 200.000 habitants au début du XIVe siècle, Paris était au Moyen Âge l'une des plus grandes villes de l'Occident. La capitale connut de ce fait un essor urbanistique et architectural important. Pourtant, peu de vestiges de cette époque sont visibles aujourd'hui. Avec la stabilisation du pouvoir royal à Paris au XVIe siècle, la ville devient l'objet d'une intense activité de construction de demeures seigneuriales, bourgeoises voir religieuses.    C'est au Moyen-Âge que de nouvelles règles urbanistiques sont établies : aux quartiers carrés et structurés qui dérivaient du plan des campements militaires romains, se succède une organisation spécifique dans laquelle l'habitat se développe autour des lieux importants (châteaux, églises, monastères, mais aussi ponts ou fleuves). Des enceintes murales délimitent par ailleurs ces nouveaux modèles de construction afin notamment de protéger les habitants des incursions de troupes hostiles. Paris se dévelop...

Le Palais-Royal, havre de la séduction à Paris

Le Palais-Royal était un haut lieu de culture (théâtres, opéra, libraires), fréquenté par le beau monde et les grands philosophes (Diderot, Rousseau, etc.). Des événement importants y eurent lieu, notamment l'émeute du 10 juillet 1889 qui précéda la prise de la Bastille. Quelques années plus tard, Napoléon y rencontra sa future épouse Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie, dite Joséphine de Beauharnais, alors amante de Paul Barràs. Mais les lieux inspiraient aussi d'autres affairements un peu moins avouables: au XVIIIe siècle et au tournant du XIXe siècle le Palais-Royal était la citadelle de la vie nocturne et de la débauche parisienne. Le guide complet du Palais-Royal publié par Blue Lion Guides est disponible gratuitement ici . Au XVIII et XIX siècle, en passant par la Révolution, le Palais Royal était le haut-lieu de la galanterie parisienne. D'abord sous l'Ancien Régime, les activités étaient hors la porté de la police car le Palais était un domaine royal ...