Un des prochains guides Blue Lion est dédié à J.-J. Rousseau, dont on celèbre cette année les trois cents ans de la naissance. Il fut un des hôtes les plus assidus du Café Procope.
Le Procope est un des plus vieux cafés-restaurants de Paris. Fondé en 1686 par Francisco Procopio dei Coltelli, un liquoriste sicilien converti au commerce de la limonade, le café devient vite un lieu à la mode. Procopio parvient à instaurer une ambiance festive dans un cadre au raffinement aristocratique. Il a surtout la chance que, trois ans après son installation, la Comédie-Française, née d'une ordonnance de Louis XIV, s'installe juste en face pour une durée de près de cent ans. Le Procope devient alors l’antichambre de la Comédie-Française. Après le spectacle, les acteurs, les auteurs et une partie du public y affluent. De La Fontaine à Zola, en passant par Saint-Simon, JJ Rousseau, Voltaire, Diderot, Beaumarchais, Stendhal, Balzac, Musset, Hugo, Verlaine, les plumes les plus illustres de la littérature française vont s'y croiser deux siècles durant. Voltaire venait souvent y écrire. Une célèbre gravure le représente au Procope, levant la main, entouré de Diderot, La Harpe et Condorcet. Au Procope, Voltaire ouvre l’œil et écoute les conversations.
Quelques vers écrits de lui rapportent ce qu’il pouvait entendre au Procope :
Dans Les Confessions, Rousseau évoque une soirée passée au Procope. Ce soir-là, s’ennuyant devant le spectacle proposé, il est venu un peu plus tôt que d’habitude au café. La scène se passe le 18 décembre 1752 :
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Texte: Patrick Maunand (2012)
Le Procope est un des plus vieux cafés-restaurants de Paris. Fondé en 1686 par Francisco Procopio dei Coltelli, un liquoriste sicilien converti au commerce de la limonade, le café devient vite un lieu à la mode. Procopio parvient à instaurer une ambiance festive dans un cadre au raffinement aristocratique. Il a surtout la chance que, trois ans après son installation, la Comédie-Française, née d'une ordonnance de Louis XIV, s'installe juste en face pour une durée de près de cent ans. Le Procope devient alors l’antichambre de la Comédie-Française. Après le spectacle, les acteurs, les auteurs et une partie du public y affluent. De La Fontaine à Zola, en passant par Saint-Simon, JJ Rousseau, Voltaire, Diderot, Beaumarchais, Stendhal, Balzac, Musset, Hugo, Verlaine, les plumes les plus illustres de la littérature française vont s'y croiser deux siècles durant. Voltaire venait souvent y écrire. Une célèbre gravure le représente au Procope, levant la main, entouré de Diderot, La Harpe et Condorcet. Au Procope, Voltaire ouvre l’œil et écoute les conversations.
Quelques vers écrits de lui rapportent ce qu’il pouvait entendre au Procope :
Quand Boindin, par trop impieOn raconte qu’une fois, déguisé pour ne pas être reconnu, il vint écouter les réactions, juste après la première de sa pièce Sémiramis. Il lui fallut par moments, bien du courage et de la patience pour qu’il ne se montre au grand jour, tant la critique était sévère… On raconte aussi que c’est au Procope qu’il composa ce célèbre quatrain :
Avait bien médit du Ciel,
Quand Piron, contre l’Olympie
Avait bien vomi son fiel,
Quand Rousseau, le Misanthrope
Avait bien philosophé,
Ça, Messieurs, disait Procope
Prenez donc votre café.
L’autre jour, au fond d’un vallonJean Fréron fut un journaliste et critique, connu pour ses polémiques contre les philosophes de son temps. Comme Voltaire, Jean-Jacques Rousseau eut maille à partir avec lui. Il l’a sans doute rencontré quelquefois au Procope, un lieu qu’il apprécie pour son ambiance à la fois populaire et spirituelle. Rousseau y vient pour discuter philosophie, politique, spectacle… ou pour s’adonner à l’un de ses passe-temps favoris, le jeu d’échecs.
Un serpent mordit Jean Fréron.
Que pensez-vous qu’il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva !
Dans Les Confessions, Rousseau évoque une soirée passée au Procope. Ce soir-là, s’ennuyant devant le spectacle proposé, il est venu un peu plus tôt que d’habitude au café. La scène se passe le 18 décembre 1752 :
Tandis qu’on jouait "le Devin du village" à l’Opéra, il était aussi question de son auteur à la Comédie française, mais un peu moins heureusement. N’ayant pu, dans sept ou huit ans, faire jouer mon "Narcisse" aux Italiens, je m’étais dégoûté de ce théâtre, par le mauvais jeu des acteurs dans le français ; et j’aurais bien voulu avoir fait passer ma pièce aux Français, plutôt que chez eux. Je parlai de ce désir au comédien Lanoue, avec lequel j’avais fait connaissance, et qui, comme on sait, était homme de mérite et auteur. "Narcisse" lui plut, il se chargea de le faire jouer anonyme ; et en attendant il me procura les entrées, qui me furent d’un grand agrément, car j’ai toujours préféré le Théâtre-Français aux deux autres. La pièce fut reçue avec applaudissement, et représentée sans qu’on en nommât l’auteur; mais j’ai lieu de croire que les comédiens et bien d’autres ne l’ignoraient pas. Les demoiselles Gaussin et Grandval jouaient les rôles d’amoureuses ; et quoique l’intelligence du tout fût manquée à mon avis, on ne pouvait pas appeler cela une pièce absolument mal jouée. Toutefois je fus surpris et touché de l’indulgence du public, qui eut la patience de l’entendre tranquillement d’un bout à l’autre, et d’en souffrir même une seconde représentation, sans donner le moindre signe d’impatience. Pour moi, je m’ennuyai tellement à la première, que je ne pus tenir jusqu’à la fin ; et, sortant du spectacle, j’entrai au café de Procope, où je trouvai Boissy et quelques autres, qui probablement s’étaient ennuyés comme moi. Là, je dis hautement mon peccavi [mea culpa], m’avouant humblement ou fièrement l’auteur de la pièce et en parlant comme tout le monde en pensait. Cet aveu public de l’auteur d’une mauvaise pièce qui tombe fut fort admiré, et me parut très peu pénible. J’y trouvai même un dédommagement d’amour-propre dans le courage avec lequel il fut fait ; et je crois qu’il y eut en cette occasion plus d’orgueil à parler, qu’il n’y aurait eu de sotte honte à se taire. Cependant, comme il était sûr que la pièce, quoique glacée à la représentation, soutenait la lecture, je la fis imprimer ; et dans la préface, qui est un de mes bons écrits, je commençai de mettre à découvert mes principes, un peu plus que je n’avais fait jusqu’alors.Cette préface, dans laquelle Rousseau dénonce l’inégalité sociale et l’oisiveté et la frivolité des riches, annonce ses écrits futurs. A propos de la pièce elle-même, Rousseau a vu juste. Narcisse ou l’amant de lui-même (une pièce retouchée par Marivaux) n’offre pas un grand intérêt, mais son rythme alerte et un dénouement bien amené lui vaudra quand même un relatif succès. Au plus grand étonnement de Rousseau lui-même qui avait écrit le lendemain de la première (le 19 décembre 1752) au comédien et auteur dramatique Jean-Baptiste-Simon Sauvé (dit de La Noue) :
J’ai appris, Monsieur, que quelques personnes vous attribuaient la petite Pièce qui m’a tant ennuyé hier à la Comédie, et je me suis hâté de me nommer, afin que vous ne portassiez plus la peine de votre amitié pour l’auteur. D’ailleurs, je ne gardais l’incognito que pour éviter les compliments qui me sont insupportables, et cet inconvénient n’est plus à craindre. Ne vous donnez donc plus la peine de me garder le secret, que je ne garde plus moi-même. Je vois qu’il y a eu quelques retranchements de faits mal à propos, mais ce qui a été fait le plus mal à propos, c’est la pièce.Une seconde représentation sera jouée le surlendemain. De tous les spectateurs, Rousseau fut sans doute le plus insatisfait… Ce qui fit écrire à Jean Fréron : la passion de M. Rousseau n’est pas d’être applaudi, mais d’être sifflé.
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Texte: Patrick Maunand (2012)
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