Les foires de Saint-Germain au XVIIe siècle |
Extrait de notre guide sur le théâtre à Paris.
« Le théâtre amuse
l’esprit, il ne doit pas le préoccuper. » Jules Renard
Forum populaire voué autant au
commerce qu’aux divertissements, les foires de Paris étaient des
lieux fréquentés par la population toutes classes confondues.
C’est là que les bateleurs se donnaient rendez-vous pour le plus
grand bonheur des parisiens.
En traversant les galeries
marchandes du marché de Saint-Germain des près, il est difficile
d’imaginer que c’est ici même que se tenait autrefois l’une
des plus grandes foires parisiennes. Il nous faut pour cela remonter
le temps jusqu’au XVIIIème siècle.
Jadis, les bateleurs, jongleurs et
autres artistes de rue venaient chercher leur pitance dans les lieux
les plus fréquentés, et les foires étaient, dans ce domaine, des
endroits de prédilection. Il existait une pléthore de foires à
Paris. On peut citer, entre autres, les foires de Saint-Claire, près
de l’hôpital de la Pitié, de Saint-Ovide , place Louis XV
(actuelle place de la Concorde), la foire aux jambons sur le parvis
de Notre-Dame, mais les plus connues et les plus grandes étaient
celles de Saint-Laurent (qui fut installée dans l’enclos
Saint-Laurent près de l’actuelle gare de l’Est et qui fut
ensuite transférée aux Champeaux dans le quartier des Halles) et
celle de Saint-Germain.
En 1482, Geoffroy Floreau, dernier
abbé régulier de l’abbaye de Saint-Germain des prés, obtint du
roi Louis XI l’autorisation d’établir une foire sur le terrain
de l’ancien hôtel de Navarre que le Duc de Berry avait cédé en
1399 aux religieux. La foire Saint-Germain s’étendait de la rue
des Boucheries (actuel boulevard Saint-Germain) à la rue des
aveugles (actuelle rue Saint-Sulpice) et de l’extrémité de la rue
de Tournon jusqu’aux abords de l’église Saint-Sulpice. Tous les
bâtiments autour du marché actuel datent du XIXeme siècle. Loin
de l’abrupte architecture qui se dresse devant vous et qui fut
réhabilitée par Cacoub (en 1995) suivant les mêmes plans que ceux
de Blondel (en 1813), la foire d’antan était une véritable petite
ville dans la ville divisée par huit rues interlopes coupées à
angle droit et couverte d’une admirable toiture en châtaigner
élevée en 1511 à la volonté du cardinal-abbé Guillaume V
Briçonnet mais qui brûla malheureusement dans l’incendie de 1762.
Au numéro 8 de la rue de Mabillon, on peut observer la fosse qui
surplombe le restaurant « La petite cour » et qui
correspond au niveau de l’ancienne foire.
La foire de Saint-Germain était une
foire franche : N’importe qui pouvait y vendre n’importe
quoi exception faite des livres et des armes, mais les foires avaient
plus ou moins leurs spécialités et celle de Saint-Germain proposait
plutôt des tissus, des bijoux, des jouets ou encore des ingrédients
culinaires exotiques et des sucreries. A la tombée du soir, les
grands seigneurs venaient s’y distraire et il n’était pas rare
de croiser dans les rues si pleines que l’on s’y promenait à
grand peine, des gens de la cour venus se divertir ou acheter
quelques manteaux ou nœuds de manches. Les échoppes regorgeaient
alors de pièces d’orfèvrerie, de perles, de falbala ou de fins
cabriolets, de bijoux émaillés ou de satin de Surate. Les petites
gens se contentaient sans doute des services des limonadières, des
liqueurs et des vins des petits cafés ou cabarets qui fourmillaient
un peu partout. Et même si ces foires pouvaient donner lieu à de
violentes rixes entre malfaiteurs ou étudiants et forces de l’ordre,
et que le chapardage, l’escroquerie ou le meurtre n’étaient pas
choses impossibles, la population parisienne se pressait avec
engouement pour venir assister à ce qui donnait aux foires tout leur
charme : les bateleurs.
Héritiers des Sots ou des
Bazochiens du moyen-âge qui, aux mystères, mêlaient des
farces parfois trop audacieuses pour la morale publique, les
bateleurs étaient souvent issus des basses couches de la société
et ravissaient le public par des acrobaties et des performances
toujours plus étonnantes. Les danseurs de corde étaient sans nul
doute les artistes les plus spectaculaires. L’un des plus illustres
fut Paulo Rédigé, dit le petit diable, fils d’un bateleur
des boulevards, qui toucha aux sommets de son art au point d’aller
s’exhiber en Angleterre et de recevoir les compliments du comte
d’Artois en personne. L’art de la corde consistait à danser en
équilibre sur une corde tendue et à exécuter des figures plus
acrobatiques les unes que les autres. Ecarts, châssis ou saut du
cheval donnaient des émotions fortes au public conquis, d’autant
que certains danseurs les exécutaient parfois en sabots. Mais dans
l’ombre de ces grandes troupes, des myriades de spectacles se
donnaient à voir à chaque pignon de rue. Qui se souvient d’un
certain Rossignol qui, dès 1754, exhibait la femme forte, une femme
particulièrement massive qui soulevait des poids avec ses cheveux ou
portait des hommes sur son ventre ? Ou de Kirkener qui fonda, en
1774, l’ancêtre du musée Grévin en faisant admirer ses
mannequins de cire représentant les célébrités de l’époque ?
A-t-on encore souvenir de Brioché dont les marionnettes, en 1646,
étaient si expressives qu’on cria à la magie et qu’il dût en
démontrer le mécanisme pour s’éviter l’emprisonnement. Les
« grands géants » côtoyaient les « petits
nains », les avaleurs de feu concurrençaient les mangeurs de
pierres. Et tout cela sans compter les exhibitions d’animaux
exotiques : Rhinocéros, pélicans, ours, chiens savants ou
singes dressés. La plupart se produisaient dans la rue ou dans des
« loges » qui étaient des salles de spectacles
rudimentaires et éphèmères (elles duraient le temps de la foire et
étaient démontées) jusqu’à ce que les grandes troupes telles
que celles de l’Ambigu-comique d’Audinot, des vari étés
amusantes de Louis Lécluze, des Associés de Vienne dit Beauvisage
ou encore des grands danseurs du roi de Nicolet, construisent de
véritables salles de théâtre.
Tout le monde n’appréciait pas
ces lieux populaires. Notons la critique du chroniqueur désœuvré,
journal contemporain de l’acteur de foire Gémond (ou Jaymond), en
1783, qui déclarait : « Voyez Gémond, sous quelque habit
que ce soit , en telle société qu’il se présente, sa physionomie
plate et basse annonce un homme né dans la condition la plus
abjecte. C’est un personnage bête, grossier, ignorant, stupide,
et, au reste, comme les autres, paresseux, libertin, débauché… ».
Et en effet, le Sieur Gémond, non content de jouer les Pierrot
ou les Batelier, avait souvent maille à partir avec les
autorités. Le même chroniqueur décrivait les artistes des foires
portant des pantalons (les gentilshommes portaient alors la culotte),
un large manteau, un chapeau rabattu, des cheveux retroussés en
nattes, un bâton en main et pour parfaire le tableau, il leur
prêtait un langage injurieux, des comportements d’ivrognes et des
fréquentations malfamées. Si on ne les connaissait comme acteurs de
telle ou telle troupe, on eût pu les confondre avec les gredins de
la pire espèce.
La misère n’était pas le moindre
mal pour les forains. Si certains s’enrichissaient en devenant
entrepreneurs de spectacles (comme les Nicolet, Alard, Dolet,
Restier, Delage, Fuzelier, etc.), beaucoup s’évertuaient à gagner
leur vie dans des conditions parfois terribles. Pour seule preuve,
l’histoire de ce jeune garçon que la garde retrouva en plein hiver
dormant dans une charrette parce qu’il n’y avait pas assez de
place dans le lugubre logement qu’habitait le reste de la troupe.
Il va donc de soi que tous ces artistes des foires ou des boulevards
rêvaient d’accéder un jour à la notoriété et, pourquoi pas,
entrer à la comédie française ou à l’académie royale de
musique comme ce fut le cas pour Mademoiselle Petitpas, une jeune et
gracieuse danseuse de la troupe de Dolet qui entra à l’académie
en 1727. Ou encore Théodorine Thiesset qui jouait aux
Folies-Dramatiques et fut remarquée et admise à la Comédie
française pour y interpréter un seul et unique rôle, dans les
Burgraves , le 7 mars 1843. Les troupes elles-mêmes eurent parfois
leur heure de gloire comme celles d’Audinot, l’Ambigu-comique, ou
de Nicolet, qui se virent invitées par la Du Barry à Choisy pour
divertir Louis XV.
Mais bien souvent, la vie des
bateleurs de foire s’écoulait au rythme des conflits avec les
institutions royales et la Comédie-Française. Longtemps, la
Confrérie de la passion eut le monopole du théâtre parisien. Mais
face avec la foire franche de Saint-Germain, c’était deux
privilèges qui se faisaient face. Les bateleurs eurent finalement
l’autorisation de continuer à produire leurs spectacles moyennant
une allocation versée aux confrères. Plus tard, la
Comédie-française eut le statut hautement privilégié de
comédiens du roi. Ils avaient pour charge de divertir le monarque
et, accessoirement, le reste de la population. Mais la qualité des
spectacles de foire commença à faire de l’ombre au rayonnement
des Comédiens français et de l’Opéra. Certains acteurs forains
avaient un talent connu et reconnu dans le Tout-Paris et les procès
s’abattirent sur ceux qui osaient défier le théâtre
institutionnel. Ainsi, la Comédie française exigea que les
dialogues soient proscrits des pièces foraines et la justice leur
donna raison en 1708. Les acteurs des foires durent donc trouver des
ressources parfois fort ingénieuses pour contrevenir aux décisions
des magistrats. Cela donna lieu à des phénomènes frôlant parfois
le génie… ou le ridicule ! On vit ainsi des acteurs dire leur
monologue puis sortir de scène tandis qu’un autre acteur y entrait
pour lui donner la réplique. Il n’y avait donc effectivement plus
de dialogues. Il n’y avait qu’une succession de monologues !
Une pratique qui se répandit aussi fut celle de laisser les
comédiens en scène en veillant à ce qu’un seul d’entre eux
parle tandis que les autres lui murmuraient leur réplique qu’il
répétait ensuite à voix haute. On redoubla de stratagèmes.
Parfois, les répliques étaient remplacées par des couplets repris
sur des airs connus par des complices mêlés au public et qui
entrainaient les spectateurs à chanter avec eux. Enfin, longtemps
les acteurs se promenèrent avec des écriteaux qu’ils montraient
au public et sur lesquels étaient inscrits leurs répliques, comme
le firent avant eux les farceurs du XVIème siècle. Plus tard, un
entrepreneur nommé Alard, associé à Madame Maurice, obtint
l’autorisation de produire des spectacles chantés. L’Opéra-comique
était né. Mais les cours de justice savent être opiniâtres et en
1719, les théâtres forains furent fermés. Le Duc d’Orléans,
assistant à la dernière représentation de l’un de ces lieux, se
serait exclamé : « L’Opéra-comique est comme le cygne.
Il ne chante jamais aussi bien que lorsqu’il va mourir ! »
Ils disparurent donc en 1719 pour réapparaitre en… 1722. En effet,
il n’y a rien de plus virulent que la mauvaise herbe, en tout cas,
c’est ce que devaient penser les ennemis du théâtre de foire
lorsque des artistes lumineux tels que Piron, Restier ou Francisque
relancèrent les activités artistiques des troupes foraines soutenus
par un public toujours friand des spectacles qu’on lui proposait.
L’incendie du 7 mars 1762
détruisit une grande partie de la foire Saint-Germain dont sa
fameuse toiture. La foire fut reconstruite mais elle perdit peu à
peu de son attrait et après un procès que la Comédie-Française
intenta de nouveau à Nicolet, lui reprochant d’embaucher pas
moins de 30 acteurs,20 musiciens et 60 danseurs, la foire de
Saint-Germain succomba et disparut définitivement en 1786, tout
comme la foire Saint-Laurent. Conflit d’intérêt ou hasard de
l’histoire ? Le fait est que l’Odéon fut bâti en 1782 à
quelques rues de la foire. Et justement, le théâtre de l’Odéon
est notre prochaine étape…
------
Texte: Martial Courcier (2012)
Commentaires
Enregistrer un commentaire