J.-J. Rousseau, par de la Tour |
On peut se demander pourquoi Rousseau qui a tant vanté les bienfaits de la nature, a passé autant de temps à Paris (au total une bonne vingtaine d’années de 1742 à 1778). Car Paris, on va vite s’en rendre compte lors de cette promenade, est pour le "Citoyen de Genève", le lieu de perdition par excellence. Surtout que son premier passage dans cette ville, au cours de l’été 1731, lui a laissé une impression plus que mitigée :
Je m’étais figuré une ville aussi belle que grande, de l’aspect le plus imposant, où l’on ne voyait que de superbes rues, des palais de marbre et d’or. En entrant par le faubourg Saint-Marceau, je ne vis que de petites rues sales et puantes, de vilaines maisons noires, l’air de la malpropreté, de la pauvreté, des mendiants, des charretiers, des crieuses de tisanes et de vieux chapeaux. Tout cela me frappa d’abord à tel point, que tout ce que j’ai vu depuis à Paris de magnificence réelle n’a pu détruire cette première impression, et qu’il m’en est resté toujours un secret dégoût pour l’habitation de cette capitale. Je puis dire que tout le temps que j’ai vécu dans la suite ne fut employé qu’à y chercher des ressources pour me mettre en état d’en vivre éloigné. (Les Confessions)Alors pourquoi Paris ? Rousseau nous éclaire sur le sujet, lorsqu’il écrit dans Emile:
Il n'y a pas peut-être à présent un lieu policé sur la terre où le goût général soit plus mauvais qu'à Paris. Cependant c'est dans cette capitale que le bon goût se cultive, et il paraît peu de livres estimés dans l'Europe dont l'auteur n'ait été se former à Paris. Ceux qui pensent qu’il suffit de lire les livres qui s’y font se trompent : on apprend beaucoup plus dans la conversation des auteurs que dans leurs livres ; et les auteurs eux-mêmes ne sont pas ceux avec qui l’on apprend le plus. C’est l’esprit des sociétés qui développe une tête pensante, et qui porte la vue aussi loin qu’elle peut aller. Si vous avez une étincelle de génie allez passer une année à Paris. Bientôt vous serez tout ce que vous pouvez être, ou vous ne serez jamais rien.C’est donc l’ambition de se faire un nom dans le monde littéraire qui l’a fait venir dans la capitale française. Et Rousseau, malgré son aversion de la ville, reconnaitra que la confrontation, avec Paris lui a permis de mieux se connaître et donc de grandir. Un peu plus d’un siècle plus tard, Rainer Maria Rilke éprouvera la même impression : Je veux provisoirement rester à Paris justement parce que c’est dur. Je crois que si l’on réussit à se mettre à l’œuvre ici, on doit pénétrer très loin et très profond (lettre à Arthur Holitscher, octobre 1902).
Même si son penchant naturel le pousse à vivre à la campagne, Rousseau y revient à la fin de sa vie, montrant sans doute par là que son lien avec Paris était plus fort qu’il ne l’a écrit…
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Texte: © Patrick Maunand (voir aussi son blog aLaLettre)
Image: © Wikimedia
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