La Prison de la Force (1821) |
Le seul vestige encore visible de la prison est le grand pan de mur qui s'avance dans la rue Pavée au sud de l'hôtel de Lamoignon, 24 rue Pavée, et qui était le mur nord de la Petite Force, la Grande Force occupant tout le sud du terrain jusqu'à la rue du Roi-de-Sicile. Toutes deux furent installées en 1780 dans l'hôtel des ducs de la Force, la Petite pour les femmes et la Grande pour les hommes.
Dans Splendeurs et misères des courtisanes, Vautrin et Lucien de Rubempré sont conduits à la Force avant d'être transférés à la Conciergerie. Lucien, devenu l'instrument de Vautrin pour conquérir pouvoir et richesses, a en effet été mené à sa perte. Il est tombé amoureux d'Esther Gobseck, une jeune courtisane qui voulait l'épouser. Mais Vautrin a manoeuvré Esther afin d'accéder à la fortune du baron de Nucingen (marié à Delphine, une fille du Père Goriot). Esther s'est empoisonnée de désespoir le jour où elle devait se donner au baron. Lucien, soupçonné de l'avoir tuée, est arrêté et emprisonné ainsi que Vautrin.
Le séjour des deux hommes à la Force est malheureusement trop bref pour que Balzac en donne une description. Hugo y consacre davantage d'attention dans Les Misérables, lorsque Thénardier tente de s'en échapper:
« Quoi qu’il en soit, ruisselant de sueur, trempé par la pluie, les vêtements en lambeaux, les mains écorchées, les coudes en sang, les genoux déchirés, Thénardier était arrivé sur ce que les enfants, dans leur langue figurée, appellent le coupant du mur de la ruine, il s’y était couché tout de son long, et là, la force lui avait manqué. Un escarpement à pic de la hauteur d’un troisième étage le séparait du pavé de la rue. La corde qu'il avait était trop courte. Il attendait là, pâle, épuisé, désespéré de tout l’espoir qu’il avait eu, encore couvert par la nuit, mais se disant que le jour allait venir, épouvanté de l’idée d’entendre avant quelques instants sonner à l’horloge voisine de Saint-Paul quatre heures, heure où l’on viendrait relever la sentinelle et où on la trouverait endormie sous le toit percé, regardant avec stupeur, à une profondeur terrible, à la lueur des réverbères, le pavé mouillé et noir, ce pavé désiré et effroyable qui était la mort et qui était la liberté. […] Lui était sur le haut d’un mur de dix pouces de large, étendu sous l’averse, avec deux gouffres à droite et à gauche, ne pouvant bouger, en proie au vertige d’une chute possible et à l’horreur d’une arrestation certaine, et sa pensée, comme le battant d’une cloche, allait de l’une de ces idées à l’autre : — Mort si je tombe, pris si je reste.
Dans cette angoisse, il vit tout à coup, la rue étant encore tout à fait obscure, un homme qui se glissait le long des murailles et qui venait du côté de la rue Pavée s’arrêter dans le renfoncement au-dessus duquel Thénardier était comme suspendu. Cet homme fut rejoint par un second qui marchait avec la même précaution, puis par un troisième, puis par un quatrième. Quand ces hommes furent réunis, l’un deux souleva le loquet de la porte de la palissade, et ils entrèrent tous quatre dans l’enceinte où est la baraque. Ils se trouvaient précisément au-dessous de Thénardier. Ces hommes avaient évidemment choisi ce renfoncement pour pouvoir causer sans être vus des passants ni de la sentinelle qui garde le guichet de la Force à quelques pas de là. Il faut dire aussi que la pluie tenait cette sentinelle bloquée dans sa guérite. Thénardier, ne pouvant distinguer leurs visages, prêta l’oreille à leurs paroles avec l’attention désespérée d’un misérable qui se sent perdu. »
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Texte: © Jean-Christophe Sarrot (2012)
Images: © Wikimedia, Blog: au temps de Vidocq
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