Jean-Paul Rabaut de Saint-Etienne (1743-1793) |
Nous continuons notre présentation des grands personnages de la Révolution française, avec un extrait de l'un des parcours Blue Lion qui lui sera dédié prochainement.
Au n°271 de la rue Saint Honoré (ex n°377) vivait l'un des principaux représentants de la religion protestante durant la Révolution française. Fils d’un ministre protestant, Jean-Paul Rabaut avait connu la répression des reformés de France : son père était proscrit et fugitif et sa mère avait dû se cacher pour ne pas perdre ses enfants, les enfants des protestants leur étant systématiquement séquestrés pour être élevés dans la religion catholique. A l’adolescence, il fut donc envoyé en Suisse pour poursuivre ses études à l'abri du danger et dans un environnement religieux conforme aux croyances avec lesquelles il avait grandi. De retour en France, il décida de s'engager fortement en faveur de la tolérance en publiant la biographie de Ambroise Borély à travers laquelle il décrit la persécution des protestants en France depuis la révocation de l’édit de Nantes. Le volume fut publié à Londres en 1779 sous le titre Triomphe de l’Intolérance, puis quelques années plus tard sous le titre, qu’il a conservé depuis, du Vieux Cévénol, ou Anecdotes de la vie de Ambroise Borély. En même temps Rabaut se consacrait avec un certain succès à l’écriture et publia plusieurs poèmes et romans.
Des mouvements qui commencèrent à se profiler en France, Rabaut ne pouvait être absent. Le général Lafayette ayant, de retour d’Amérique, promis à Washington de s'intéresser au sort des protestants en France, rencontra les deux Rabaut père et fils à Nîmes, et proposa à ce dernier de se déplacer vers la capitale pour devenir le représentant officieux des « reformés » auprès de la cour. Le marquis et le ministre du roi Lamoignon de Malherbes soutinrent sa démarche d'obtenir le statut civil pour les protestants. Rabaut rédigea ensuite un mémoire dans lequel il exprimait ses idées sur la liberté de confession. En 1787, le roi accepta finalement de promulguer un édit de tolérance, connu depuis comme l’édit de Versailles, qui permit aux non-catholiques de bénéficier de l’état civil sans avoir à se convertir au catholicisme. Grâce à cet édit, les protestants étaient reconnus sujets du roi à part entière, et gagnaient le droit de devenir légalement époux et parents. Cet acte, que Rabaut considérait comme insuffisant, fut néanmoins un pas déterminant vers la reconnaissance de la religion protestante telle qu'elle sera formulée deux ans plus tard dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui affirmera avec force la liberté religieuse.
Au terme de ces
premières années parisiennes, tandis que se développait le mouvement de réforme qui aboutit à la convocation des états généraux, Rabaut pris un chemin qui devait
l’éloigner de son ministère religieux pour se dédier pleinement au sort de la
révolution.
Il rentra à Nîmes, où il rédigea un ouvrage politique important, les Considérations
sur les intérêts du Tiers-Etat, (anticipant ainsi le
pamphlet de l’abbé de Sieyès Qu’est-ce que le Tiers-Etat ?) et fut
nommé représentant local aux Etats généraux. De retour à la capitale armé de
sa nouvelle fonction, il prêta serment le 20 juin 1789 dans la salle du Jeu de Paume de Versailles, où les
députés du tiers état à l’Assemblée nationale durent se réunir en urgence et s’engagèrent à ne pas se séparer avant d’avoir
élaboré une nouvelle Constitution du royaume.
L’Assemblée nationale,
considérant qu’appelée à fixer la constitution du royaume, opérer la
régénération de l’ordre public et maintenir les vrais principes de la
monarchie, rien ne peut empêcher qu’elle continue ses délibérations dans
quelque lieu qu’elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin, partout où ses
membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale.
Arrête que tous les membres
de cette assemblée prêteront, à l’instant, serment solennel de ne jamais se
séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à
ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements
solides, et que ledit serment étant prêté, tous les membres et chacun d’eux en
particulier confirmeront, par leur signature, cette résolution inébranlable.
Dans son dessin préparatoire au tableau du Serment du Jeu de Paume (1790-91, châteaux de Versailles et de Trianon), Jacques-Louis David représenta Rabaut au
premier plan, avec l’abbé Grégoire et le moine dom Gerle, au sein d'une trinité
symbolisant la réconciliation des Églises catholique et reformée. Finalement le tableau de David demeura inachevé car au moment de sa réalisation bien des protagonistes de l'histoire étaient déjà tombés en disgrâce…
Rabaut participa
activement au débat atour de La Déclaration des droits de l’homme : dans son
discours à l’Assemblée nationale du 23 août 1789, quelques jours seulement avant
l’adoption de la Déclaration, il s’exprima contre l’édit
de Tolérance en réclamant la liberté de religion pour tous les non-catholiques,
y compris les juifs:
Ainsi, Messieurs, les
protestants font tout pour la patrie et la patrie les traite avec ingratitude:
ils la servent en citoyens ; ils en sont traités en proscrits : ils la servent
en hommes que vous avez rendus libres ; ils en sont traités en esclaves. Mais
il existe enfin une Nation française, et c’est à elle que j’en appelle en
faveur de deux millions de citoyens utiles, qui réclament aujourd’hui leur
droit de Français : je ne lui fais pas l’injustice de penser qu’elle puisse
prononcer le mot d’intolérance ; il est banni de notre langue, ou il n’y
subsistera que comme un des mots barbares et surannés dont on ne se sert plus,
parce que l’idée qu’il représente est anéantie. Mais, Messieurs, ce n’est pas
même la tolérance que je réclame ; c’est la liberté. La Tolérance ! Le support
! Le pardon ! La clémence ! Idées souverainement injustes envers les dissidents,
tant qu’il sera vrai que la différence de religion, que la différence d’opinion
n’est pas un crime.
La Tolérance ! Je demande
qu’il soit proscrit à son tour, et il le sera, ce mot injuste qui ne nous
présente que comme des Citoyens dignes de pitié, comme des coupables auxquels
on pardonne, ceux que le hasard souvent et l’éducation ont amenés à penser
d’une autre manière que nous. L’erreur, Messieurs n’est point un crime ; celui
qui la professe la prend pour la vérité ; elle est la vérité pour lui ; il est
obligé de la professer, et nul homme, nulle société n’a le droit de le lui
défendre.
[…]
Je demande donc, Messieurs,
pour les protestants français, pour tous les non-catholiques du Royaume, ce que
vous demandez pour vous : la liberté, l’égalité de droits. Je le demande pour
ce peuple arraché de l’Asie, toujours errant, toujours proscrit, toujours
persécuté depuis près de dix-huit siècles, qui prendrait nos mœurs et nos
usages, si, par nos Lois, il était incorporé avec nous, et auquel nous ne
devons point reprocher sa morale, parce qu’elle est le fruit de notre barbarie
et de l’humiliation à laquelle nous l’avons injustement condamné.
Dans le débat sur
la liberté religieuse, Rabaut soutint la formule élaborée par le député
Castellane, qui disait: « Nul ne peut être inquiété sur ses opinions
religieuses et nul ne peut être trouble dans son culte ». Finalement
celle-ci ne fut pas retenue par l’Assemblée qui vota pour l'« Article X. Nul
ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur
manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi », dont l'adoption fut
favorisée, malgré lui, par Mirabeau qui s’en plaignit plus tard. Ce compromis ne
donnait pas des garanties suffisantes aux croyants d’autres confessions car il laissait une ample marge de discrétion au pouvoir pour déterminer quelles
religions ou opinions troubleraient l’ordre public.
Rabaut fut
ensuite élu président de l’Assemblée nationale entre le 15 et le 28 mars 1790
et participa à l’élaboration de la constitution de 1791. Ne siégeant plus à l’assemblée
législative, interdite aux membres de l’Assemblée constituante,
Rabaut se dédia à la rédaction de son Précis de l’histoire de la révolution.
Élu député de
l’Aube à la Convention nationale, il siégea dans les rangs Girondins. Après
la fuite de la famille royale à Varennes, il se montra relativement indulgent avec le roi : après
l’arrestation, il espéra encore que le roi prenne position en faveur de la
Révolution ; il dut ensuite reconnaître qu’il n’y avait pas d’alternative
dans la situation politique contemporaine à l’abolition de la monarchie, et participa donc
au vote par acclamation de l’Assemblée le 21 septembre 1792 allant dans ce sens. Lors du
procès contre Louis XVI, Rabaut se prononça d’abord pour la détention et le bannissement puis, lorsque la mort fut décidée, il vota pour le sursis.
Après ces évènements, la pensée politique de Rabaut évolua dans une direction plus radicale, revendiquant une égalité sociale basée sur la bonne répartition des richesses. « La véritable égalité c'est la fraternité », disait-il. Dans le domaine religieux également, il se positionna, à travers son Projet d’éducation nationale (21 décembre 1792), en faveur de la création d’un culte officiel dont le but était d’éduquer la population aux principes du civisme et de la morale. Positions qu’il avait d’ailleurs exprimées dans un pamphlet avant la Révolution et qui s’inspiraient du Contrat Social de Rousseau.
Après l’insurrection
du 31 mai 1793, Rabaut figurait parmi les représentants Girondins assignés à l’arrestation
domiciliaire. S'il parvint une première fois à s'évader, il fut découvert puis arrêté dans la maison du couple d’amis qui le cachait, le 4 décembre 1793. Il fut envoyé à
l’échafaud dès le lendemain.
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