Une autre excursion avec Françoise Gardien dans le Marais: l'hôtel Carnavalet, le plus ancien et un des plus beaux hôtels particuliers de Paris. Aujourd'hui siège du Musée de la l'Histoire de la Ville de Paris.
Nous voici dans la cour d’honneur du plus ancien
hôtel particulier parisien civil, celui qui va inspirer tous ceux qui vont
suivre ; il va susciter un véritable engouement, tant pour l'attrait du quartier
renaissant que pour son architecture somptueuse. Ce lieu porte aussi en lui la
mémoire de fêtes joyeuses, de véritables carnavals… qui lui donnèrent son nom,
probablement, comme nous allons le voir.
Entrons dans la cour d’honneur de l’hôtel ; au
passage nous pouvons contempler le masque de Carnaval, figure de l’Abondance,
ornant le tympan du porche, rappelant le patronyme, Carnaval/Carnavalet.
Renaissance parisienne.
C’est sous le règne de François Ier en
1545, que Jacques de Ligneris, avocat à la Cour, acquiert 3 parcelles de la
couture Sainte-Catherine (nom donné aux parcelles de terrain de ces terres
cultivables ; on dit aussi « culture »). Elles provenaient du prieuré de Sainte-Catherine-du Val-des-Écoliers. Mais le Roi le nomme ambassadeur au concile de Trente ; ainsi, ce
n’est que de retour à Paris trois ans plus tard, au début du règne de Henri
II, qu’il passe contrat avec un maître maçon, Nicolas Dupuis, et avec l’atelier
de Pierre Lescot et de Jean Goujon, à qui l’on doit, peu avant, l’aile
Ouest de la cour carrée du Louvre.
Se fixent ici les règles de l’hôtel particulier à la
française, corps de logis entre cour et jardin qui se caractérise
par :
·
des ailes latérales en retour d’équerre (ou
retour à angle droit)
·
une cour de dimensions restreintes, de plus
en plus grandes avec le développement à l’ouest.
Ce plan de base porte en lui le germe d'une recherche d'intimité et de confort ; c’est en effet un signe de distinction important, et
un besoin grandissant, que de pouvoir descendre de sa voiture non pas en pleine
rue boueuse, mais dans un lieu protégé, pavé et ordonnancé, à l'abri des regards.
La partie Renaissance est juste devant nous :
fenêtres à meneaux (avec des montants ou compartiments), corps de logis central
à deux niveaux, surmonté d’un étage de combles ; le bâtiment est prolongé
de part et d’autre par des ailes : à gauche, loggia sur la rue, à
l’italienne, avec un seul niveau ponctué d’arcades à pilastres jumelés, ornementée de mascarons. Elle formait en fait
une galerie menant au bâtiment des cuisines; le porche d’entrée à bossage
vermiculé, date aussi du XVIe siècle ; à droite, se situait le bâtiment des
écuries, prolongé peut-être par un mur renard, ouvrant sur la
« basse-cour » des écuries. L’atelier du grand sculpteur parisien Jean
Goujon (auteur également de la Fontaine des Innocents), réalise le programme
ornemental de la façade, symbolisant les quatre saisons. On reconnaît là les
canons de la sculpture maniériste : un équilibre instable, un étirement
des formes et des corps qui semblent flotter. Le drapé mouillé, cher à Goujon, est
présent et donne aux bas-reliefs beaucoup de grâce.
Puis Françoise de Kernevenoy, riche veuve (de M. François dit de
Carnavalet, écuyer d’Henri II), s’installe ici, et va donner son nom à la
demeure : est-ce la difficulté des parisiens à prononcer ce nom
breton ? ou bien une référence à son choix de vie : fêtes,
réjouissances, un vrai carnaval ! En tous cas, à cette époque apparaît le
nom.
Irruption du Classique
En 1654, la demeure passe à Claude Boysleyve,
intendant des finances et ami de Fouquet, qui est en pleine spéculation.
L’architecte François Mansart, ami qui habite juste
derrière, rue Payenne, remanie l’hôtel :
il bouche la loggia, rajoute un étage aux ailes latérales, les tourelles
disparaissent … Les fenêtres à
meneaux sont remplacées par des fenêtres à la française ; dans un esprit
d’harmonie, il rajoute des sculptures d’inspiration maniériste. Son programme
est mythologique et centré sur la figure de Diane chasseresse. C’est l’irruption du pur style classique dans la Renaissance française.
Coté rue le portail est remanié au XVIIe siècle.
La demeure va poursuivre sa vie pétillante avec la
présence de Mme de Sévigné, qui loue l’hôtel une fortune : l’équivalent
d’environ 65 000 euros par mois. Le
quartier est déjà cher ! Elle
l’occupera dans les années 1677-1696, et l’appellera tendrement « ma
carnavalette» !
En accord avec la fonction actuelle de musée de l'hôtel, nous faisons face dans la cour à un élément qui a miraculeusement
échappé à la Révolution française. Il s’agit de la statue de Louis XIV réalisé
en 1689 par Antoine Coysevox (on lui doit les deux groupes sculptés de la Renommée et Mercure chevauchant Pégase
initialement conçus pour le château de Marly, dont on peut voir les originaux
au Louvre et les copies place de la Concorde). Elle ornait jadis la cour de
l’Hôtel de Ville avant d’être remontée à cet emplacement en 1890. Le roi y est
représenté avec une certaine emphase, en imperator, c'est-à-dire en costume
militaire antique, tout en arborant une perruque tout à fait moderne. Cette
iconographie si particulière, qui se met en place avec le décor de la Galerie
des Glaces et que l’on retrouve dans nombre d’effigies royales publiques à
cette époque, n’est pas sans rappeler l’apparition du roi au sein du quadrille
à la romaine lors du célèbre Carrousel donné en 1662 dans la cour des
Tuileries. Des attributs mythologiques complètent ici la référence à
l’antique : la dépouille du lion de Némée, traditionnellement associée à
Hercule, image de la force, gît à ses pieds, tandis qu’à sa taille grimace un masque de Méduse,
allusion à la victoire rusée du héros Persée sur la terrible Gorgone. Louis XIV
est ainsi figuré en souverain moderne, inscrit dans son temps et parmi ses contemporains, mais par sa force et son
intelligence se présente comme l’héritier direct des empereurs de la Rome antique.
Au passage notez que la statue fut inaugurée exactement 100 ans avant la prise de la Bastille.
L’hôtel abrite aujourd’hui le Musée Carnavalet de l’histoire
de Paris, incontournable pour ceux qui veulent parcourir l’histoire de la ville
au fil des siècles, ses personnages, mobiliers et gravures.
© Françoise Gardien, Crédit photos: Antonio Ca' Zorzi et Wikimedia
Commentaires
Enregistrer un commentaire