Catherine de Médicis à toujours eu une renommée remarquable en France, pour le pire et le meilleur. Héritière et continuatrice du dessein de François Ier dans la tache de ramener en France ce que l'Italie avait de mieux à offrir (en commençant par l'art et la cuisine), elle fut une reine implacable et régente à l'image de ses origines, étant elle-même issue non pas d'une maison royale mais d'une famille bourgeoise régnante. Sa popularité atteint son apogée dans les œuvres de Balzac et de Dumas, qui ont donné forme littéraire à une postérité teintée de perceptions négatives - dominatrice, machiavélique, empoisonneuse, adepte de l’occulte - qui s'étaient en partie déjà consolidées vers le fin de sa vie. Selon Balzac (cité par Capodieci) :
Deux mots expliquent cette femme si curieuse à étudier, et dont l'influence laissa de si fortes impressions en France. Ces deux mots sont Domination et Astrologie. Exclusivement ambitieuse, Catherine de Médicis n'eut d'autre passion que celle du pouvoir. Superstitieuse et fataliste comme le furent tant d'hommes supérieurs, elle n'eut de croyances sincères que dans les sciences occultes. (H. de Balzac, Sur Catherine de Médicis, La Comédie humaine, vol. XI, page 381, la Pléiade, Éditions Gallimard, 1980)Mais ce dernier de reconnaître, au début de son essai:
Catherine de Médicis [...] a sauvé la couronne de France: elle a maintenu l'autorité royale dans des circonstances au milieu desquelles plus d'un grand prince aurait succombé [...] Aussi pour qui creuse l'histoire du seizième siècle en France, la figure de Catherine de Médicis apparaît-elle comme celle d'un grand Roi. les calomnies une fois dissipées par les faits péniblement retrouvés à travers les contradictions des pamphlets et des fausses anecdotes, tout s'explique à la gloire de cette femmes extraordinaire, qui n'eut aucune des faiblesses de son sexe, qui vécut chaste au milieu des amours de la cour la plus galante de l'Europe, et qui sut, malgré sa pénurie d'argent, bâtir d'admirables monuments [...] Catherine avait en effet au plus haut degré le sentiment de la royauté; aussi la défendit-elle avec courage et une persistance admirable. Les reproches que les écrivains calvinistes lui ont faits sont évidemment sa gloire, elle ne les a encourus qu'à cause de ses triomphes. Pouvait-on triompher autrement que par la ruse? (Ibidem, page 169-170).C'est seulement dans la deuxième moitié du XXe siècle que les historiens ont commencé à remettre en cause l'image traditionnelle de la reine.
C'est dans ce dernier sillage que se situe le travail, érudit et stimulant, de Mme Capodieci, qui concentre son attention sur l'influence qu'a eu la pensée savante, astrologique et magique de Catherine sur l'art et le pouvoir de son pays d'adoption. Elle nous entraîne au sein d'un long parcours qui révèle l'importance de Marsilio Ficino (le Ficin) et du néoplatonisme régnant à la Cour, ainsi que le rôle d'interprète joué par la reine et ses artistes, à commencer par il Primaticcio (le Primatice) auteur du décor peint de la galerie d'Ulysse - aujourd'hui perdu- du château de Fontainebleau, modèle majeur pour les peintres français de l'époque.
Elle situe Catherine dans le contexte complexe et troublé du XVIe siècle :
Cette époque d'incertitude et d'angoisse voit se propager les obsessions apocalyptiques, les attentes d'événements extraordinaires dans un mélange de tension eschatologique, de crédulité et de curiosité scientifique. La fin du monde et la venue de l'Antichrist sont attendues comme une purification cathartique. Les opuscules imprimés, contenant aussi bien des prophéties anciennes et nouvelles que des prévisions astrologiques, ont une grande diffusion. Ils sont une source d'information, mais aussi un moyen de propagande politique et religieuse. Il en résulte la nécessité d'un contrôle de la part du pouvoir temporel qui vise à ce les approprier.Il ne faut pas non plus oublier, comme l'a souligné l'un des intervenants, qu'à l'époque, surtout en Italie qui inaugure cette tradition, mais aussi déjà en France, la science de l'astrologie allait de pair avec celle de l'astronomie, au point d'avoir ses propres chaires dans les universités de la péninsule, à commencer par celle de Bologne, et de la France.
L'idée fondamentale de l’émanation divine du pouvoir du roi doit être transmise à tous les cercles de la société par l'image, efficace, et la parole, ou encore par l'intermédiaire d'évènements marquants chargés de symbolique comme le sont les fêtes royales et en particulier le Balet comique de la Royne de 1581. L'auteur souligne l'extraordinaire complexité et, d'une certaine manière, l'harmonie de la pensée astrologique et magique de Catherine.
Une des œuvres artistiques essentielles de l'époque sur laquelle Mme Capodieci se penche au sein d'une analyse savante, est la décoration à fresque de la galerie d'Ulysse au Palais de Fontainebleau, initié par François Ier qui en confia la décoration au Primatice. A la mort du roi en 1547 le projet de décoration de la galerie s'arrête, puis reprend en 1555 sous la direction de Nicolò dell'Abate qui y travailla, en partie suivant les dessins du Primatice, jusqu'en 1570. La représentation de l'Odyssée est un thème récurrent dans l'art italien de la seconde moitié du XVIe siècle et l'on peut dire que le sujet atteint ici son sommet. L'iconologie des fresques de la galerie, aujourd'hui disparues mais dont il subsistent des esquisses de la main de Primatice ainsi que quelques copies, représente, dans la voute, la genèse cosmologique et la descente de l'âme, tandis que les parois retracent les errances d'Ulysse. Le vaste programme symbolique est inspiré des écrits de Platon qui avaient alors retrouvé un important et influent interprète en la personne de Marsil Ficin : la philosophie néoplatonicienne dont il s'était fait le chef-de-file avec pour centre intellectuel et culturel dans la Florence des Médicis s'était déjà répandue en France dans le milieu érudit et à la cour de François Ier.
Le cycle d'Ulysse est clairement une référence allégorique au Roi et au bon gouvernement : d'abord celui de François Ier, puis celui d'Henri II et de Charles IX. Dans cette symbolique les rois sont de nouveaux Ulysse qui naviguent le vaisseau (la France) au sein d'un long voyage aventureux et périlleux. Catherine apparaît quant à elle en déesse Minerve, qui, avec Charles IX, ont été "les justes pilotes du navire de l'État" [...] Minerve représente à la fois la partie intellectuelle de l'âme, la justice de l'État et l'équilibre cosmique". La galerie d'Ulysse avait aussi un but pédagogique : lors des ses déambulations le roi était instruit et amené à méditer sur les images sur la vie, le sens de la politique et la nature céleste de sa fonction.
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Il y a peu de traces monumentales de Catherine de Médicis à Paris : la colonne de l'Hôtel de Soissons (anciennement Hôtel de la Reine), le jardin des Tuileries (fortement modifié par la suite) et, bien évidemment, les deux monuments funèbres de la Basilique Saint-Denis dans lesquels elle est représentée aux côtés d'Henri II.
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