Accéder au contenu principal

Visite du Marais - Hôtel de Sully

Nous avons parcouru le Marais avec Françoise Gardien qui a écrit un très beau texte sur les hôtels particuliers qui ont fait l'histoire du quartier. Voici un extrait concernant l'Hôtel de Sully.

L'Hôtel de Sully, hésitant entre classique et baroque



J’aime aussi beaucoup visiter ce bel hôtel en pierre de taille, exemple parfait de l’hôtel particulier en ses grandes heures !
Tout d’abord son nom nous évoque une époque heureuse pour la France ; Maximilien de Béthune, Duc de Sully, fut l’un des meilleurs « premiers ministres » que la France ait jamais connu. Il a su redresser l’économie et les finances du Royaume, qui étaient au plus bas après les Guerres de Religions : tout d’abord en le transformant en vaste
territoire agricole, avec une première politique de bonification des zones marécageuses. Ensuite en instaurant une longue période de paix, avec l’Édit de Nantes, qu’il inspira au roi Henri IV. Il fut non seulement son ministre mais aussi son ami, sûr et fidèle. (C’est d’ailleurs en se rendant chez lui à l'Arsenal que le roi trouva la mort, rue de la Ferronnerie.)


Entrons dans la cour du bâtiment. Quel bel exemple, là encore, des règles d’architecture que l’on respectait à la lettre ! C’est à Jean Androuet du Cerceau (dernier représentant de la fameuse dynastie d’architectes et de dessinateurs) que l’on doit les dessins et plans de l’hôtel, et l’entrepreneur était Jean Notin.
Un contrôleur des finances, Mesme Gallet, donc membre de la noblesse de robe, commande ce vaste hôtel dès 1624. Il est intéressant de se rappeler le contexte des objectifs de cette « nouvelle » noblesse : de riches bourgeois achètent au roi des charges, leur permettant d’exercer un pouvoir administratif. Ils sont donc anoblis pour servir l’État. Tandis que la noblesse d’Épée dispose de châteaux en province, lorsqu’elle quitte temporairement la Cour à la belle saison, la noblesse de robe doit résider à proximité du centre urbain où s’exerce le Pouvoir royal. Le Marais offre de nombreux terrains vierges et rectilignes, correspondant au goût du jour ; la joie de la symétrie contraste avec les petites rues sinueuses du Paris médiéval ! Et puis l'air y est réputé plus pur.
Mais M. Gallet, ne contrôle pas très bien ses propres finances… Et bientôt ruiné par le jeu, il revend l’hôtel inachevé en 1628 au seigneur de Sarcelles Roland de Neufbourg. Son fils revendra la demeure à Sully.


Hôtel de Sully, Sphinx, c.a. 1625 (© ACZ)

En 1634, le Duc de Sully –qui survit à Henri IV, mort en 1610- acquiert l’hôtel, le fait aménager et s’y installe avec sa dernière épouse Rachel de Cochefilet dont il aura dix enfants (probablement pas tous de lui... Il a à cette époque 74 ans!). D'après le chroniqueur mondain Tallémant de Réaux, il lui aurait enjoint ceci :  «Madame, voici votre pension : 1/3 pour la maison, 1/3 pour les enfants et 1/3 pour vous et vos amants, mais de grâce, que je ne les rencontre pas dans l’escalier ! »
Son petit fils Maxime occupera aussi la demeure, et se mariera avec Charlotte Seguier, fille du célèbre Chancelier (voir ci-dessous son portrait par Le Brun, conservé au musée du Louvre).



Le plan de cet hôtel est donc typique de l’hôtel particulier à la française : en U, avec au bout des ailes deux beaux pavillons sur rue (datant de l'époque de Sully). L’aile droite servait d’écurie et de remise à carrosses, tandis que l’aile gauche était réservée au garde-manger et aux cuisines. Le corps de logis central, ainsi préservé des odeurs gênantes, abritait les appartements des maîtres des lieux.
Ici, nous avons une exception à la règle : l’appartement du Maître occupe l’étage noble, car la pièce principale se partage en deux, entre antichambre pour faire patienter les visiteurs et pièce de réception proprement dite. La chambre de la Maîtresse occupait donc le rez de chaussée, et une petite partie de l’aile droite ; mon avis est que cette disposition est peut-être liée aux visites que recevait la Duchesse. . . mais rien ne le prouve.
Le bâtiment présente une élévation sur trois niveaux, et cinq travées par côtés:  le rez de chaussée est entresolé, et les hautes baies sont ornées de mascarons inscrits dans des tympans curvilignes. Le portail, encadré par des consoles à volutes, est décoré d’une lingerie de pierre. Le second niveau lui répond avec des baies à tympans triangulaires cette fois, précédés aussi par des mascarons.

Hôtel de Sully: alternance de de tympans dans la façade sur la cour d'Honneur (© ACZ)

Cet étage noble porte en son centre deux niches abritant très beaux hauts-reliefs, illustrant à gauche une allégorie de l’Automne ; à droite, c’est un vieillard symbolisant l’Hiver.


Hôtel de Sully, Automne (© ACZ)
En traversant le bâtiment et en se plaçant du côté jardin, nous retrouvons la suite du programme : Cérès pour l’Été, et Flore pour le Printemps. Il est fréquent (comme à Carnavalet) de retrouver en ces hôtels ces allégories des saisons, qui symbolisaient à la fois la pérennité de la demeure au fil du temps, ainsi que la volonté d’ordonner, de dompter la nature.


Une corniche à modillons annonce le dernier niveau, inscrit dans les combles. Les fenêtres en chien assis reprennent le tympan curviligne du rez de chaussée, créant ainsi une symétrie, mais pas de monotonie !
Les deux ailes latérales portent elles aussi un programme sculptural en quatre parties, mais cette fois ce sont des quatre éléments dont il s’agit. Cela donne une impression de stabilité et de régularité que l’on va retrouver tout au long du classicisme.




(@ ACZ)

L’Air et le Feu ornent le côté gauche, tandis que la Terre et l’Eau sont à droite. Ces hauts-reliefs rappellent ceux de Carnavalet, attribués à Jean Goujon, réalisés environ un siècle avant … Le style un peu flottant, la position de déséquilibre sont un clin d’œil au maniérisme. La décoration très abondante, les nombreux mascarons, feuillages et lingeries de pierre sont dans le ton baroque. Pourtant, la régularité et la symétrie de l’édifice sont toutes classiques. Cet hôtel se situe donc à la lisière des registres baroque et classique.
Par le portail central, passons du côté jardin. Et quel jardin !
Admirons la façade de ce côté dévolu à l’abondance et l’agrément, qui porte donc les statues des belles saisons. Du côté gauche on note la présence d’un mur renard, à arcatures aveugles. A droite l’aile en retour d’équerre fut construite pour la seconde duchesse de Sully, Charlotte Séguier, par François Le Vau, à la fin du XVIIe siècle.
Hôtel de Sully, Vue du Jardin (© ACZ)

Une large terrasse à balustrade ouvre sur le jardin à la Française, avec, au fond « le petit Sully », c'est-à-dire la seule orangerie à cette époque construite à Paris. Nous sommes à la pointe de la mode et du raffinement. Là encore une riche décoration vient orner la façade symétrique. La toiture est surmontée d’un faîtage de plomb, d’époque.

Hôtel de Sully, Jardin et Orangerie (© ACZ)


© Photo Credits: Antonio Ca' Zorzi (ACZ), Wikimedia. Texte: Françoise Gardien

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Palais Royal: les colonnes de Buren et la fontaine Sphérades

En entrant dans Cour d'honneur du Palais Royal, vous vous trouvez immédiatement au milieu de multiples colonnes noires et blanches de toute taille, émergeant du sol comme des arbres qui poussent. Lorsqu’on se penche par-dessus les deux puits qui se trouvent dans la cour, on s’aperçoit que les colonnes se prolongent en sous-sol. Elles déterminent donc deux niveaux, d’où le titre de cette œuvre in situ : Les deux plateaux . En 1986, sous la présidence de François Mitterrand , le Ministère de la culture et de la communication, logé dans la galerie des proues du Palais Royal, commande une sculpture pour la cour intérieure à l’artiste Daniel Buren . Cette œuvre sculpturale s’inscrit dans le cadre des grands projets de François Mitterrand, qui, dans les années 1980, souhaite transformer la ville musée en ville moderne en y introduisant l’art et l’architecture contemporains. Buren est membre fondateur du groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier et Toroni), qui, dans l’esprit des années 19...

Piranesi studioso del Mausoleo di Adriano

In occasione della pubblicazione della guida su Castel Sant'Angelo ci siamo interessati un momento alla bellissima serie di disegni del mausoleo di Adriano realizzati da Giovanni Battista Piranesi. Giovanni Battista Piranesi fu un grande studioso dell'arte romana e si fra gli altri monumenti dell'antichità si interessò anche molto a Castel Sant'Angelo. Nato nel 1720 a Mogliano Veneto, all'epoca sotto dominio della Serenissima, Piranesi si avvicina all'antichità classica e all'arte grazie alla sua famiglia. Suo fratello Andrea lo introduce alla cultura latina mentre lo zio, magistrato delle acque a Venezia, lo inizia all'architettura e al patrimonio monumentale. A Roma dal 1740, al seguito dell'ambasciatore di Venezia presso la Santa Sede Marco Foscarini, risiede a Palazzo Venezia e entra in contatto con cerchie artistiche, prime fra tutte quelle francesi della Accademia di Francia. Dalla collaborazione con alcuni artisti francesi nascono le p...

Il mottetto nel riposo durante la fuga in Egitto di Caravaggio

Il bellissimo dipinto di Caravaggio nella collezione Doria Pamphilj mostra un angelo di spalle intento a suonare un violino - di cui una corda si è spezzata - leggendo le note di uno spartito che San Giuseppe tiene aperto di fronte a lui. Le note ovviamente non erano messe lì a casaccio. Infatti, come si è appurato qualche tempo fa, si tratta di un mottetto del compositore fiammingo Noel Bauldewijn, il cui testo, non riprodotto da Caravaggio, è tratto dal Cantico dei Cantici. « Quam pulchra es, et quam decora, carissima, in deliciis! Statura tua assimilata est palmae, et tubera tua botris. Caput tuum est Carmelus, collum taum sicut turris eburnea.» « Veni, dilecte mi, egrediamur in agrum; videamus si flores fructus parturiunt, si floruerunt mala punica; ibi dabo tibi ubera mea. »  In italiano, « Quanto sei bella e quanto vaga, o mia carissima prediletta! La tua statura assomiglia a una palma, e i tuoi seni a grappoli d'uva. Il tuo capo è simile al monte Carmelo, il tu...