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L'Apoxyomène de Croatie. Des fonds de l'Adriatique aux salles du Louvre (jusqu'au 25 Février)

Découverte en 1996 par un plongeur au large de l’île croate de Vele Orjule, la statue dite de l’Apoxyomène est l’une des rares statues en bronze qui nous viennent de l’Antiquité gréco-romaine.

Grâce à un prêt exceptionnel du Ministère de la Culture de Croatie, ce bronze antique est actuellement exposé au Musée du Louvre, aile Denon « Rotonde de Mars », jusqu’au 25 Février 2013.

L’équipe de Blue Lion se fera un plaisir de vous guider à la découverte de ce chef-d’œuvre qui recèle tant de mystères et de beautés.

Une découverte exceptionnelle
Parce qu’ils sont très rares, les bronzes anciens font, lors de leur découverte, la une des pages culturelles des journaux. En effet, bon nombre de ces statues ont été refondues à différentes époques afin de récupérer le métal nécessaire à la réalisation d’armes, monnaies, ou aux autres ustensiles.
De ce fait, notre connaissance de la statuaire antique repose, en grande partie, sur les statues en marbre, lesquelles, à leur tour, sont souvent des copies romaines d’originaux grecs. Pourtant la statuaire en bronze était très appréciée par les Grecs et, plus tard, par les conquérants venus de Rome.
« Graecia capta ferum victorem cepit, et artes intulit agresti Latio », écrit Horace en remarquant que la Grèce, vaincue dans ses terres, avait conquis son farouche envahisseur et avait porté les arts au sein d’un Latium primitif.  

Les écrivains romains nous ont laissé des descriptions très vives des spoliations systématiques mises en place par les Romains dans les cités grecques. Tel est le cas du célèbre pillage de Corinthe, en 146 av. J. –C., à la suite duquel les conquérants envoyèrent à Rome des centaines de marbres, tableaux, trésors en tout genre et, bien évidemment, des bronzes.

Chargés des trésors de l’art grec, nombre de ces navires échouèrent au large des côtes de Grèce et d’Italie. Certains gisent toujours au fond de la mer, d’autres surgissent (souvent par hasard) en nous livrant leur contenu pour la grande joie des amateurs d’art et archéologues.

Les antécédents
L’épave dite « du cap Artémision » est l’une des plus connues. Découverte en 1924 au large du cap
Dieu de l'Artémision, Musée archéologique national d'Athènes
éponyme de l’île d’Eubée, en Grèce, elle renfermait une riche cargaison, dont deux grands bronzes : « le dieu du cap Artémision » et le célèbre « jockey » et son cheval, au Musée national d’Athènes.
Impossible de connaître la provenance du navire, ni sa destination. Seule certitude, la date du naufrage, autour du Ier siècle avant notre ère, car le reste du chargement était constitué par des œuvres d’époque hellénistique. La statue du dieu était, au contraire, plus ancienne. Elle est même, à l’instar de l’Aurige de Delphes, la plus ancienne grande statue de bronze connue que l’on date de la première moitié du Vème siècle avant notre ère.  
 

Guerriers de Riace, Musée archéologique national de Reggio Calabria
Plus récents mais non moins importants, les « guerriers de Riace » et le « satyre de Mazara » font partie des grands bronzes découverts loin des navires qui les transportaient, souvent pris au piège dans des filets de pêche. Cela est le cas des deux statues de guerriers découvertes au large du village de Riace en Calabre en 1972 et de la statue d’un jeune homme dansant découverte au large des côtes de Mazara del Vallo en Sicile en 1997/1998.

Une fois de plus, et par manque d’autres indices, on peut dater ces statues par des considérations d’ordre stylistique et technique : posture, rendu des cheveux, proportions et traits du visage. Ainsi, les célèbres « guerriers de Riace », compte tenu des coiffures et de la posture, peuvent être de la moitié du Vème siècle avant notre ère (statue A) et à la seconde moitié du même siècle (statue B).

Le jeune homme dansant, plus connu sous le nom de « satyre dansant », est plus tardif. Sa tête renversée et son torse courbé ne laissent pas de doutes quant à sa datation: il s’agit d’une statue de l’époque hellénistique ou imitant un prototype de cette époque. 

Une autre question se pose alors : l’identification des personnages et, si possible, leur attribution. Or, il
Satyre dansant, Musée du Satyre dansant de Mazara del Vallo
s’avère que ces questions posent autant de problèmes que la datation des bronzes antiques. 

La disparition, par exemple, de l’objet brandi par le dieu du cap Artémision nous empêche de savoir s’il s’agit d’un Poséidon, dans ce cas l’objet manquant serait un trident, ou de Zeus brandissant un éclair. De même, l’identification des Guerriers de Riace a fait couler beaucoup d’encre. S’agit-il de deux héros grecs enlevés à Olympie par Néron ? Ou des personnifications des tribus de l’Attique ? En revanche, les oreilles pointues et la queue nous autorisent à parler d’un satyre pour le bronze de Mazara. Mais est-ce bien le fameux satyre dansant de Praxitèle décrit par les sources antiques ? C’est ce genre de questions qui se posent au sujet de l’Apoxyomène de Croatie.

Un athlète venu du passé
Il y a peu de doutes concernant l’identité du bronze, il s’agit bien d’un athlète qui est en train de nettoyer son corps à l’aide d’un racloir, strigile en grec ancien. Le terme Apoxyomène définit exactement cette action : celui qui se nettoie à l’aide d’un racloir. 

En effet, les athlètes, en Grèce ancienne, s’exerçaient en complète nudité dans des gymnases en plein air, ainsi, à la fin des concours sportifs, il était nécessaire d’enlever la mixture de sable et de sueur qui se collait à leur peau.  
Toutefois, à mieux y regarder, l’Apoxyomène de Croatie n’est pas précisément en train de se nettoyer, mais a peut-être déjà achevé cette opération. En effet, la tête penchée en avant, l’athlète est représenté nettoyant son propre strigile, qui, hélas, n’a pas été retrouvé.

On pourrait aussi se demander quel était le sport pratiqué par cet athlète. La question n’est pas des moindres, car les écrivains grecs et romains nous ont laissé de nombreuses descriptions de statues d’athlètes, tel le célèbre Discobole (lanceur de disque) du sculpteur Myron.
 
Vu de près, l’Apoxyomène révèle tout son jeune âge. Les chercheurs parlent d’un visage presque enfantin, charnu, malgré les pectoraux très développés, voir disproportionnés par rapport au corps. Suivant cette observation, et à l’aide des sources anciennes, les chercheurs ont donc proposé d’y voir un jeune pugiliste.

Une enquête sur la statuaire antique
Apoxyomène d’Éphèse, Ephesos Museum de Vienne 
L’Apoxyomène de Croatie n’est pas le premier athlète connu de la statuaire grecque. Le plus fameux est l’Apoxyomène de Lysippe, dont nous ne connaissons que des copies romaines. Cependant, les deux statues n’ont en commun que le sujet : un athlète utilisant un strigile.

Pour trouver des comparaison plus fines il faut donc chercher ailleurs. Une véritable enquête qui pourrait apporter de la clarté sur l’origine du modèle sculptural et sur sa datation. Or, il faut savoir que d’autres statues présentent le même type sculptural que le bronze croate. Ces exemplaires, parmi lesquels figure un bronze d’Ephese conservé à Vienne, témoignent de l’existence d’un prototype commun d’époque hellénistique. Est-ce donc de l’un des deux athlètes sculptés par ce Daidalos de Sicyone (IVème siècle avant notre ère) dont nous parle Pline ?

Une superbe copie d’un original méconnu
Si la posture du bronze permet de dater la sculpture du IVème siècle avant notre ère, il n’en demeure pas moins vrai qu’il pourrait s’agir d’une copie, ou d’un moulage sur l’original. Les scientifiques qui ont restauré le bronze,  de l’Opificio delle Pietre Dure de Florence et de l’Institut croate de restauration, semblent s’accorder sur cette hypothèse. De nombreux détails font penser, en effet, à une réplique hellénistique ou romaine d’un mystérieux prototype grec.

L’impressionnante soudure qui relie la nuque au cou du bronze témoigne d’une restauration antique, peut-être d’époque romaine. Plus surprenant encore, cette statue, vraisemblablement oubliée à un moment de son existence, a été transformée en garde-manger par un petit rongeur. Les analyses au carbone 14 datent ces restes organiques au Ier siècle avant notre ère. Destiné par la suite à embellir une villa de l’Adriatique, ce bronze fut chargé dans un navire qui échoua en pleine mer.

Il ne nous reste plus qu’à espérer que cette mer houleuse puisse encore nous livrer ses secrets. 


Image: L'Apoxiomène de Croatie exposé au Musée Archéologique de Zagreb

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Pour en savoir plus :

DENOYELLE MATINE et Alii, Bronzes grecs et romains, recherches récentes. Hommage à Claude Rolley, Paris, 2012 (en ligne : http://inha.revues.org/3245 , consulté le 28/01/2013)
ROLLEY CLAUDE, Les bronzes grecs, Fribourg-Paris, 1983
ROLLEY CLAUDE, La sculpture grecque. Des origines au milieu du Ve siècle, vol. 1, Paris, 1994
ROLLEY CLAUDE, La sculpture grecque . La période classique, vol. 2, Paris, 1999

 

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