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Marais - l'Hôtel Salé

Quel drôle de nom pour un hôtel! Et pourquoi pas sucré ? En fait cette ample construction répond au désir d’un fermier des gabelles, Pierre Aubert de Fontenay, de se gonfler de son importance…comme « la grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf ».  La gabelle était pendant l’Ancien Régime l’impôt principal, et portait sur le sel. Or, comme tout le monde avait besoin de sel, le fermier des gabelles, c’est à dire le receveur principal de cet impôt, était un homme riche et important. Molière, qui bien sûr fréquentait aussi le quartier, s’inspire de cet homme pour créer son « Bourgeois Gentilhomme », qui voulait tout faire pour ressembler aux nobles et se faire accepter d’eux. Sa vanité inspire la moquerie de ses voisins qui surnomment ainsi l’hôtel. Son destin suit d’assez près celui de Nicolas Fouquet, dont il est proche. Louis XIV connaît l’hôtel et l’envie. Le ministre tombe en disgrâce, Aubert de Fontenay aussi. Il meurt avant de voir son hôtel totalement achevé.


De 1656 à 1659, le maître d’œuvre Jean Boullier de Bourges travaille donc à un hôtel manifestant dans la pierre toute l’importance dont se targuait son propriétaire… Comment faire ? Tout d’abord, donner à l’édifice des dimensions exceptionnelles : c’est le plus vaste du Marais. Ensuite, jouer sur une apparente sobriété : pas de pilastres, colonnes, ni de chapiteaux corinthiens, mais un fronton triangulaire ponctuant le deuxième niveau, surmonté à l’attique d’un large fronton curviligne qui offre un beau programme sculpté. Tout ceci assoit le bâtiment. Le corps de logis double sa profondeur, et les services parfois odorants sont relégués tout au bout de l’aile droite, qui gagne en longueur. La cour d’honneur est arrondie côté rue, et le portail s’incurve, afin de faciliter les manœuvres de carrosses. Les rues de ce quartier vivaient parfois de gros encombrements, rien n’a changé…
Les sculptures sont à l’honneur aussi côté jardin, avec des allégories des saisons, rythmant majestueusement le temps.

Mais c’est à l’intérieur que les frères Marsy, Balthazar et Gaspard, Jacques Sarrazin, ainsi que MartinDesjardins (auteur des esclaves formant le piédestal de la gigantesque statue de Louis XIV qui ornait autrefois le centre de la place des Victoires) vont travailler à une décoration abondante :
stucs dans le vestibule, riches bordures, dessus de portes garnis de tiges et de feuilles d’acanthe.
Au XVIIIe siècle, l’hôtel est la résidence de l’ambassadeur de Venise qui souhaitait une demeure richement décorée.

En 1976, après avoir connu divers propriétaires et locataires, quelquefois fort négligents, ce somptueux hôtel devient le Musée Picasso. La succession du peintre fut très tumultueuse, et les héritiers n’ont pas pu trouver de terrain d’entente ; pour pouvoir payer leurs droits de succession, les enfants illégitimes ont dû vendre des toiles prestigieuses, majeures, que leur père souhaitait garder. Voilà pourquoi, dès que possible, une visite s’impose ici, car la vaste collection est constituée de tableaux essentiels ponctuant le parcours créatif de ce génie.

Fronton de la façade coté jardin avec des chiens sculptés, qui devaient figurer dans le nouveau blason de Pierre Aubert de Fontenay. Sur l'apex du fronton une stryge griffée (démon femelle de la mythologie romaine, souvent confondu avec les vampires) qui attire les hurlements des chiens. Intéressant symbole d'un bourgeois collecteur d'impôts qui veut donner une image positive de lui-même et de son rôle dans la société...





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© Françoise Gardien et Antonio Ca' Zorzi. Crédits photos: Antonio Ca' Zorzi, Wikimedia.

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